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Walter Wisby, 1913


Getty Images

 

Walter Wisby ! C’est comme ça que mon grand-père m’appelle. Il ne m’appelle pas Walter et encore moins Wisby. Mon grand-père m’appelle Walter Wisby parce qu’il me respecte, parce qu’il me considère comme un homme. Mon grand-père a quatre-vingt-huit ans. Moi, Walter Wisby, je n’ai que huit ans. Mon grand-père, qui vit à Cheltenham, est donc dix fois plus âgé que moi, pile poil ! C’est un homme intelligent, mais fâcheusement, cela fait quelques années qu’il souffre de la maladie d’Alzheimer. Il parle à des fantômes du passé, ou souvent tout seul, son caractère devient impulsif, et seul le jeu d’échecs peut le calmer. Il n’a rien oublié des échecs, pas une seule combinaison, pas une seule tactique ! Comme si le temps n’était pas passé sur le plateau. Je crois que chaque pion est devenu une personne, ma grand-mère la reine, mon père le fou, et moi, il me semble, le cavalier. Parce que j’avance à ma façon. Je suis un cavalier courageux. Pour moi, qui n’ai que huit ans, les échecs m’ont aidé à mûrir. Comme je vous l’ai dit, mon grand-père a dix fois mon âge, et me considère déjà comme un homme, un stratège, un calculateur.

 

Et c’est ça le jeu d’échecs. J’ai appris ce jeu quand j’avais cinq ans, bien après le début de la maladie de mon grand-père. Et je suis bien décidé à le battre aujourd’hui. Cela fait trois ans qu’il y a toujours un échiquier à la maison. Mais quand mon grand-père ne pose pas ses grandes mains grises sur les pions, ce n’est pas tout à fait pareil. Il est mon adversaire favori. Maman s’inquiète que je ne veuille plus jouer quand grand-père nous quittera. Elle a sans doute raison. Je me demande quelquefois si ce sont les échecs ou le plaisir de voir mon grand-père serein et attentif, ce qui me plait vraiment. Pourtant, je m’entraîne seul dans ma chambre, je concocte de belles stratégies. J’imagine des parties, j’imagine ce que mon grand-père jouera dans ce cas-ci ou dans ce cas-là. J’imagine même son sourire, son sourcil levé, son petit rire grave quand je mets sa tour en péril.

 

Dans un jeu d’échec, il y a soixante-quatre cases, trente-deux pièces et quelques règles. Ce n’est pas un jeu comme le Scrabble où l’on doit rechercher le bon mot, et faire preuve d’un bon vocabulaire. Ici, c’est la guerre ! Et je compte bien me servir de tous mes soldats pour la gagner. Et pour la gagner, il faut de la stratégie, de la réflexion et du temps. Le temps est compté. « Joue Walter Wisby ! Joue Walter Wisby », s’énerve mon grand-père quand je dépasse dix minutes pour bouger mon pion. Et il sourit. Il est fier de son petit-fils. Les échecs ont donné un sens à ma vie. Je réfléchis mieux depuis cette découverte, je me suis amélioré en mathématiques et en logique. J’ai aussi gagné en patience. Quand je joue, je me sens responsable, il faut rester en vie à tout prix. Et dans les échecs, pour rester en vie, il faut tuer le roi adverse. « Échec et mat, Walter Wisby ! » conclut mon grand-père qui n’a cessé de me faire tourner sur cette plaque carrée. J’ai perdu ! Et alors ? Mon grand-père n’a-t-il pas l’expérience du jeu ? Celle de réfléchir, de savoir à l’avance, de prédire le moindre mouvement. Moi, Walter Wisby, je pense que c’est en perdant que l’on apprend de ses erreurs pour toujours revenir plus fort. Chaque bataille est une histoire géométrique unique. C’est la beauté du jeu d’échecs.

 

Alan Alfredo Geday

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