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Vito Corleone, 1916

  • alanageday
  • il y a 6 jours
  • 3 min de lecture

Getty Images
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Qui peut convoquer dans son bureau Vito Corleone ? Qui peut même l’approcher ? Quel homme qui vit derrière la Statue de la Liberté, ici, à la « Petite Italie de New York » ose poser son regard sur le parrain des parrains ? Et pourtant la « Liberté éclairant le monde » ne porte pas une rose rouge dans la main droite, mais une torche qui brule sans se consumer. Une torche symbolique ! Elle a accueilli les familles italiennes, en particulier siciliennes, descendant des bateaux à la fin du XIXème siècle. Les grandes familles italiennes ! Et quand on parle de famille, on ne mentionne pas le symbole de la Liberté, mais la loyauté et l’allégeance. La famille, c’est sacré ! Et rien de plus sacré qu’une mère, celle que les Italiens appellent la mamma.

 

Vito Corleone marche tranquillement dans la rue Mulberry. C’est ici que l’on soulève son chapeau pour présenter ses condoléances à leur protecteur, à leur négociateur, à leur parrain. « Prego ! » demande un homme qui s’approche de l’autre coin de la rue en s’adressant au parrain de tout un chacun. Prego, veut dire « s’il vous plait » dans le langage de la politesse. Vito Corleone cligne des yeux. « Mes sincères condoléances, Vito Corleone de la famille Bonnano ! » Vito Corleone cligne des yeux encore une fois. Les condoléances sont acceptées. Les familles savent ce que c’est de perdre un être cher. Mais quand il s’agit de celle qui vous a mis au monde avec toute la peine du monde, c’est sacré ! Il n’y a pas de mots pour décrire la perte d’une mère. Et pour lui rendre hommage, la rue Mulberry s’est arrêtée cet après-midi. Les commerçants ont fermé leur magasin. Les marchands de légumineuses ont rangé leurs étals. La rue Mulberry, l’une des rues les plus mouvementée de New York, est d’un calme olympien. Les drapeaux italiens sont en berne. Vito Corleone arpente la rue, les mains derrière le dos. N’est-il pas un père, lui aussi ? Et ce ragazzo qui vient soulever son béret devant lui en signe de respect et de deuil. Le ragazzo, c’est ce petit garçon. Et Vito Corleone se souvient quand il est arrivé sur un bateau et qu’il a murmuré à la Statue de la Liberté : « Amérique, Amérique ! » Il était peut-être un plus grand que ce jeune gamin.

 

Il se souvient de la Sicile. Il était un enfant pieux et discipliné. Vito Corleone voulait devenir prêtre pour plaire à la mère de Jésus, et à sa mamma. Mais le destin en a voulu autrement. Il sentait déjà, il prévoyait un avenir grandiose dans le ciel azur qui surplombait Palerme. Les rayons du soleil l’appelaient au pouvoir. Un empire ! À l’image de César durant l’Empire Romain. Vito Corleone n’était pas fait pour obéir. Il était fasciné par le pouvoir et la conquête. Il a quitté la Sicile miséreuse et affamée pour le Nouveau Monde. Mais connait-on César vraiment ? Vito Corleone rêvait grand, et la grandeur se fit attendre. La traversée de l’Atlantique marqua sa désillusion. Elle était humiliante et terrible. Des centaines entassées comme des bestiaux dans la cale, à souffrir du mal de mer et de l’avarie des victuailles. Mais dès qu’il aperçut la Statue de la Liberté, il se souvient très bien qu’il murmura « Amérique, Amérique ! » À son arrivé, le jeune homme intégra vite la famille Schiro, la famille Castellammarese de New York, la plus puissante des mafias italiennes. Car la mafia est avant tout organisée, c’est une structure de la hiérarchie établie. Traditions et ordres sont les maitres mots ! Mais une mère reste sacrée !

 

Vito Corleone s’arrête de marcher en arrivant au bout de la rue Mulberry. Une berline l’attend. Le chauffeur descend prestement pour ouvrir la porte. Elle démarre en direction de Brooklyn où ses ennemis l’attendent pour lui présenter leurs condoléances.

 

La berline s’arrête devant le cimetière. À l’époque romaine, les cimetières étaient loin de la cité, mais au cimetière de Brooklyn, les morts se sont rapprochés des vivants. Au cœur de la ville, les tombes nouvelles s’entremêlent aux anciennes. Le marbre blanc côtoie la pierre et le bois. La mousse envahit tout. Peu importe la forme des tombeaux, des sépulcres, des cénotaphes, la poussière n’est que poussière, et les hommes retourneront à leur genèse : la terre. Le vent qui s’infiltre entre les branches leur donne une voix céleste. Des pleureuses vert-de-gris se lamentent çà et là auprès des tombeaux. Des caveaux s’élèvent pour honorer les grandes familles balayées par la haine et al vengeance. Vito Corleone regarde pieusement les inscriptions peu lisibles sur les tombes. Le vent a effacé les noms, les dates et les hommages. Il aperçoit au loin ses ennemis et les membres de sa famille.

 

Il ôte son chapeau…Les hommes déposent une rose rouge…

 

Alan Alfredo Geday

 

 
 
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