Tard dans l’après-midi, Issam, le chauffeur de taxi, attend, dans sa Peugeot immatriculée d’une plaque rouge cette famille qui déménage. On va partir, ça y est ! Le père de la famille a décidé de quitter Beyrouth pour les montagnes les plus lointaines. Pas une mince affaire, car il s’agit d’emporter tous les biens de sa petite maison avec lui. Une voiture ne suffira pas ! Nous devons appeler Issam pour nous aider. Le voilà garé devant la maison, il klaxonne. « Poussez-vous ! Poussez-vous ! » demande le père de famille à ses six enfants qui ont trouvé le moyen de jouer autour des voitures. Le moment est venu de remplir les coffres des deux voitures. Ce père de famille a voulu tout emporter avec lui. Sa femme s’assure que tout est là : les habits, leur petit coffre-fort et quelques provisions.
— Il n’y a plus de place dans les voitures ! s’inquiète le père de famille. Comment allons-nous faire ?
— Tu rigoles ou quoi ! réagit Issam. De la place, il n’y a que ça ! J’ai déjà fait le trajet avec une famille deux fois plus nombreuse. C’est vrai qu’il y avait une voiture en plus, mais tu parles de place, la voilà la place ! Plus tu en demandes, plus tu en auras. Il ne faut pas s’inquiéter pour la place. Les matelas, c’est simple, j’ai des cordes. Nous pouvons les accrocher sur le toit du taxi. Qu’est-ce que tu as d’autre ? Un autre matelas ? Aussi sur le toit. Tu as vu combien de places il y a…
— Et les enfants ?
— Les enfants, non ! Ils ne peuvent pas entrer dans le coffre. En revanche, ma vitre arrière a été brisée par des tirs la semaine dernière et en rentrant chez moi, je me suis occupé à enlever tous les pics de glace qui restaient ainsi que les débris sur les sièges.
— Tu en es sûr ?
— Certain, répond Issam avec assurance.
Circuler en taxi pendant les périodes de guerre n’est pas une chose commode. Mais la plupart d’entre eux connaissent les chemins les moins minés, les moins dangereux et les plus courts qui mènent aux montagnes. La tâche va s’avérer difficile pour traverser Beyrouth. Mais une fois là-haut, cette famille sera à l’abri des tirs, des bombardements et du conflit en général. Leur maison de Beyrouth, les enfants l’ont toujours connue. Il n’en reste plus grand-chose. Des cadres de photos fantômes, quelques cintres sans habits, des lits en ferraille sans matelas et de la vaisselle cassée. Les enfants sont tristes. Quitter cette maison, c’est peut-être ne pas en trouver d’autres.
— Et maintenant ? demande le père de famille. Comment allons-nous faire ?
— La petite fille souhaite s’asseoir devant ? demande Issam en l’observant.
— Non papa, j’aimerais bien me mettre à l’arrière, supplie la fille.
— Oui ne t’inquiète pas, papa, on va s’asseoir à l’arrière, reprennent les frères.
Chose scellée ! Quatre enfants à l’arrière qui tiennent le matelas et deux sur les sièges arrière. Sur le siège à côté du chauffeur sont empilés des draps de maison, des rideaux et des tapis. Issam démarre la voiture. Elle cale. Il essaye encore une fois sans succès. « On est bon, on bouge ? » demande le père de famille dans l’autre voiture. Pas encore ! Issam ouvre le capot, il vérifie l’huile, les bougies. Tout semble correct. C’est peut-être la batterie qui est morte ? Impossible avec ce soleil qui frappe à longueur de journée. Il rentre à nouveau dans la voiture et démarre de force cette fois-ci. Ça démarre ! Il appuie à fond sur l’accélérateur.
— On est bon et c’est parti, dit-il avec fierté.
— Wohoho ! hurle la jeune fille.
Les voitures s’éloignent. Elles sortent de la ville de Beyrouth petit à petit. Elles roulent à vive allure. Au moins avec Issam, ils sont sûrs d’arriver dans les montagnes et de ne pas connaître tout ça ! Tout ça, c’est les mitraillettes, les tirs lointains, les obus, les bombes, les paniques et même les révoltes. Ils sont sûrs de dormir tranquillement sans avoir la crainte d’être pillés. Ils sont sûrs de ne pas dormir entre deux murs, mais dans la fraîcheur des pins, au chant des cigales.
Alan Alfredo Geday
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