Pendant la Seconde Guerre mondiale, la destruction massive de villes entières est devenue chose ordinaire. Ainsi, les programmes de défense et de protection civile se sont multipliés et la population est mise à contribution. Les hommes et les femmes sont recrutés à l’échelle des quartiers pour servir de chefs d’îlots, de pompiers auxiliaires, de guetteurs d’incendie, de secouristes et de membres de groupes de défense civile sur les lieux de travail. Le 31 août 1939, le ministère de la Défense britannique organise l’évacuation de six cent soixante-treize écoliers des grandes villes industrielles vulnérables aux bombardements aériens. C’est l’opération Pied Piper. Par la suite, plus d’un million de mères, enfants et personnes fragiles s’enfuient des grandes villes.
Exilées dans un village du Sud de l’Angleterre, ces jeunes Londoniennes ont décidé de sortir jouer à la corde. Margaret et Elizabeth n’ont pas peur des bombardements, des sirènes qui annoncent l’arrivée des bombardiers nazis, d’être prises au piège par des missiles V2 ou par une bombe à gaz incendiaire. Elles se sentent en sécurité dans ce village de quelques centaines d’habitants. Ici, la vie continue sans crainte. Elles aident à la ferme, elles se réveillent aux aurores et profitent du grand air. Les carnets de rationnement leur permettent de prendre des vitamines et des légumes pour ne pas attraper la tuberculose, et à la ferme, elles récoltent parfois un œuf ou un peu de lait. Les denrées sont rares et précieuses dans toute l’Angleterre, mais à la campagne, la famine se fait moins ressentir. Resté à Londres, le papa de Margaret et Elizabeth fume ses vieux mégots et se plaint de n’avoir rien de sucré à manger, il a perdu beaucoup de poids et il a même dû se priver de manger pendant plusieurs jours pour avoir perdu ses tickets de rationnement, mais il pense à ses deux filles et à sa femme qui n’ont pas besoin de calfeutrer leurs fenêtres, qui ne se cachent pas à la moindre alerte, qui ne vivent pas sur le qui-vive comme lui, et ça le réconforte. Mais la semaine dernière, les fillettes ont reçu des masques à gaz, le sud de l’Angleterre, comme Londres, est menacé. Ainsi, elles ont dû enfiler leur masque pour jouer dans la cour. Elles ont retrouvé leurs copines qui, prudence oblige, portent un masque à gaz également. Ces masques sont lourds et effrayants. Mais il faut bien s’y habituer. Les jeunes filles gardent le moral. C’est vital en temps de guerre. C’est au tour de Margaret et Elizabeth de sauter. Les deux autres font tournoyer la corde à sauter dans d’immenses cercles qui rappellent le temps joyeux où l’on pouvait sortir jouer avec les copines dans les rues de Londres, devant l’appartement de Kensington. Et hop ! Elles sautillent quand la corde passe. Hop ! Elles sautent plus haut encore, mais la corde touche Margaret. Le jeu est simple. On peut toujours s’amuser, même en temps de guerre. On prend du bon temps. On se défoule, mais on s’inquiète aussi. Le port du masque est obligatoire dorénavant. On ne sait jamais, un missile V2 peut s’écraser non loin du lieu et émettre des fumées toxiques. On se dépêche de jouer, le jour tombe vite en cette saison.
— Encore, encore ! demande Margaret en sautant.
— Mes jambes brûlent, j’en peux plus ! éclate de rire Elizabeth.
— C’est à notre tour de sauter, dit une autre jeune fille.
Margaret et Elizabeth ont fait vingt-deux tours. Ce n’est pas un record car la dernière fois, elles en avaient fait dix de plus. Mais c’est sûr, elles étaient plus performantes car elles ne portaient pas de masques à gaz. Mais depuis une semaine, les habitants du sud de l’Angleterre assistent à une drôle de guerre. Des missiles ennemis s’écrasent en une explosion foudroyante et assourdissante. L’ennemi est présent, mais les habitants ne l’ont jamais vu. Comme une carte postale française, les missiles arrivent outre-Manche et s’écrasent sur leur sol. « Ne vous inquiétez pas, notre Royal Air Force est la meilleure au monde, elle est au cœur de la défense de l’Empire britannique ! » clame Margaret qui fait tourner la corde à son tour. Tout à coup, on entend une sirène lointaine. Les jeunes filles sont prises de peur. Elles laissent tomber la corde et courent rapidement chez elle. Elles espèrent que les missiles ne s’écraseront pas dans leur village, elles espèrent qu’elles n’auront pas un black-out cette nuit.
Alan Alfredo Geday
Comments