On peut traverser le désert à dos de dromadaire. On peut traverser le désert dans une grande expédition motorisée. Mais Thomas M Moore, ce jeune archéologue londonien de 35 ans, avait pour rêve de traverser le désert égyptien sur une moto Blackburne, car il souhaitait vivre cette expérience dans la solitude. Il n’avait pas arrêté d’y penser, de jour comme de nuit. Il avait déroulé des cartes, analysé les itinéraires du désert, étudié le chemin qu’il devrait emprunter pour rejoindre les pyramides, au bout du désert libyen. Beaucoup de questions s’étaient posées. Que faire s’il tombait en panne ? Comment affronter le froid des nuits ? Comment surmonter la faim ? Thomas M. Moore avait voulu se préparer à cette expédition, et durant une année entière, cette préparation l’avait accaparé. De grandes disputes avaient éclaté entre sa femme et lui. Pourquoi traverser le désert ? Et s’il ne revenait jamais ?
Thomas M Moore avançait aveuglément dans le désert. Le sable fuyait autour de la moto, s’engouffrait dans le moteur, remontait le long de ses jambes. Le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit, et lui fouettait le visage. Thomas M Moore ne savait pas où il allait. Son but était d’atteindre les pyramides, de voir leur sommet, d’admirer leur hauteur, mais cet objectif était un leurre. La vérité, c’est qu’il voulait se perdre dans l’immensité, laisser errer ses pensées le long des dunes, et tout oublier. Ainsi, le soleil l’étourdissait, le froid le tétanisait. Le vent emportait tout sur son passage, les pensées, les bruits et les odeurs. La sueur coulait dans ses yeux rougis, il ne voyait plus la piste entre les vagues des dunes. Il était absolument seul et perdu, il n’y avait rien d’autre sur la terre, rien, ni personne. Il ne disait rien. Il ne voulait rien, mais atteindre les pyramides, un jour, peut-être. Le vent passait à travers lui, il devenait un fantôme du désert. Il avançait depuis la première aube, sans s’arrêter, la fatigue et la soif l’enveloppaient comme une gangue. La sécheresse avait durci ses lèvres et sa langue. La faim le rongeait. Il n’aurait pas pu parler. Il était devenu, depuis si longtemps, muet comme le désert. Ses rêves étaient semblables aux étoiles figées, et la traversée du désert se révéla une expérience du vide et du chaos.
Thomas M Moore est venu à bout de son voyage. Il observe les pyramides d’Égypte pourfendant le ciel bleu. Il n’a pas reçu de récompense, si ce n’est la reconnaissance de quelques bédouins sur leur dromadaire. Thomas M. Moore est esquinté, mais ça en valait la peine. Il ne sera plus jamais le même homme après cette expérience, il ne pensera plus jamais de la même façon. C’est un rêve d’enfant qui se réalise. Thomas M Moore voulait l’impossible, et il l’a accompli. Ce furent dix jours de recueillement et d’aventure. Thomas M Moore a traversé le désert libyen. Il pense à ces milliers d’hommes vivant dans les zones les plus arides de ce monde, à ces milliers d’hommes qui ont fait du désert leur habitat, à ces nomades qui marchent dans le désert à la recherche de l’eau. Il a été l’un d’eux ces quelques jours, lui le Londonien privilégié, lui qui ne connaissait auparavant de l’Égypte que des gravures, des histoires et des antiquités du British Museum.
Alan Alfredo Geday
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