Sappho naquit en Grèce, à l’époque archaïque, au VIIème siècle avant notre ère. Elle était la fille d’un aristocrate vivant sur la petite île de Lesbos, et dirigeait une école où les jeunes filles servaient les divinités en apprenant à chanter et à danser. La jeune poétesse tombait souvent amoureuse de ses élèves. Ses amours étaient aussi ardentes que sans lendemain, et elle se réfugiait alors dans ses poèmes quand ses disciples se trouvaient en âge de se marier. « Un seul regard vers toi et je ne peux plus parler, ma langue se brise, un feu subtil se répand sous ma peau… » écrivait-elle le soir, à la lueur d’une torche, les joues mouillées de larmes. Pourtant, elle ne regrettait pas ses passions frustrées, ses émois déçus et ses élans troublés. Elle ne vivait que pour l’amour, et ne pouvait imaginer la poésie sans grands sentiments. Grâce à sa dévotion romantique, la poétesse devint muse et inspiratrice à son tour. Elle fit couler l’encre des plus grands artistes pendant des siècles, de Baudelaire jusqu’aux salons or et rouge de la Belle Époque. On sait peu de choses de la vie de Sappho. Elle fut exilée en Sicile vers 600 avant Jésus Christ, et a sans doute continué à travailler pendant une trentaine d’années. Dans l'Antiquité, les critiques littéraires faisaient l'éloge de son style « sublime », tandis que les dramaturges ridiculisaient ses mœurs prétendument légères. La légende veut que l'Église primitive ait brûlé ses œuvres. « Une putain folle de sexe qui chante sa propre luxure », écrivit un théologien. Selon la légende, sa vie s’acheva par un terrible suicide. Sappho se précipita du haut des falaises de Leucade en raison de son dernier amour pour le passeur Phaon.
En cette journée consacrée à l’homosexualité, les femmes se sont réunies pour défendre leurs droits. Les conversations vont bon train, et la marche avance gaiement sur l’avenue principale. Aimer est un droit, nul ne peut le juger. Quelle régression de se voir marginalisées et décriées au XXème siècle ! Platon disait de Sappho qu’elle était la « dixième muse », car dans la mythologie, les gardiennes de l’art étaient au nombre de neuf. Sappho était respectées, il y a des millénaires !
— Le droit à la dignité ! hurle une femme.
— Vive les femmes ! Vive l’amour ! s’enthousiasme une autre.
Sur le trottoir, on les regarde avec dégoût. On les juge contre-nature. Elles dérangent, elles scandalisent. Pourtant, leur courage force le respect. Elles ne craignent pas d’être photographiées, immortalisées sur le papier gris de la presse plus ou moins bienveillante. Le temps est long quand on a tant à défendre, et les années n’apportent aucun progrès social, aucune reconnaissance. Vivre cachées ? Jamais ! Vivre honteuses ? Encore moins ! Les femmes se serrent les coudes pour combattre ensemble l’intolérance qui les assaille au quotidien. Leur famille qui les a mises à la rue, leurs voisins qui ne leur adressent pas la parole, et tous ces amis qui leur ont tourné le dos quand ils ont compris. Une vie difficile, faite de déceptions et de batailles sans fin. Si Sappho pouvait voir ce monde du haut de sa falaise, elle serait bien étonnée…
Jeune fille, ma jeune fille, où es-tu allée ?
en me laissant derrière toi ?
Jamais plus je ne viendrai vers toi, jamais plus
Alan Alfredo Geday
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