Je m’appelle Bongo, et je suis un Dalmatien. J’appartiens à une race de chiens très ancienne et très prestigieuse. Figurez-vous que mes aïeuls apparaissent sur les tombes des pharaons ! Mais je ne viens pas d’Égypte, mais d’une région croate que l’on appelle la Dalmatie, sur les bords de la mer Adriatique. Au départ, mes ancêtres étaient des chiens de coche, c’est-à-dire qu’ils ouvraient la voie au coche et à la diligence qui transportait le courrier. Ils devinrent aussi la mascotte des pompiers aux États-Unis, parce qu’ils emboîtaient le pas aux chevaux tractant les véhicules et aboyaient pour avertir les piétons de leur passage. Mais ce qui rendit ma race célèbre, ce fut ce fameux livre anglais « Les 101 dalmatiens ». Puis les Américains qui vivent à Hollywood s’intéressèrent à l’œuvre. Un certain Monsieur Walt Disney en tira un film qui émerveilla le monde entier. Depuis, les dalmatiens sont des chiens très prisés. Ainsi, j’ai grandi dans un élevage dans la campagne anglaise, parmi mes camarades tachetés.
Ma compagne Missis appartient à la même race que moi. Elle a des petits pois noirs sur son pelage crème. Elle est belle, on s’embrasse souvent. Mais, je sais qu’un jour nous serons vendus, et nous aurons chacun un maître à respecter et à qui obéir. Nous serons alors séparés, mais j’espère pouvoir la croiser dans les parcs de Londres, courir avec elle après les écureuils, boire avec elle dans les flaques d’eau, me dorer le dos au soleil à ses côtés sur les pelouses vertes ou fureter à travers les feuilles mortes de l’automne. Je laisserai mon odeur au pied des arbres pour qu’elle me retrouve, je prendrai soin de lui faciliter la tâche, et je chercherai son parfum dans tous les coins de rue. Je connais son odeur, et jamais je ne l’oublierai.
En ce jour de printemps, mon maître, Lord Rodolph, me promène à Hyde Park. Lord Rodolph a une grosse moustache, il fume la pipe, et il ressemble à un détective avec son trench en tweed. Il pense que je n’ai pas appris grand-chose. Parfois, il me demande d’exécuter des choses surprenantes. J’ai compris alors que je n’aurai pas à assister à une scène de crime. Je dois courir à vive allure et contourner des quilles. Et je reçois une croquette bien anglaise. Puis je dois courir et rattraper un frisbee en sautant. J’ai alors droit à deux croquettes. Je suis un peu fatigué, il est temps de se reposer. Mon maître s’assoit sur un banc et sort un livre de sa poche. Il a l’habitude de dévorer des livres policiers, mais il ferait mieux de trouver une compagne pour faire des enfants ! Moi, j’adore les enfants, et au parc, je les regarde jouer avec envie. Parfois, ils s’arrêtent pour me tendre une caresse, mais tout de même, s’il y avait un enfant à la maison, je recevrai bien plus d’attention ! Mon maître défait ma laisse. J’ai droit à quelques instants d’intimité. Quelque chose attire mon attention. C’est un papillon. Il volète entre les plates-bandes, il se pose sur ma truffe, il me nargue. Je le suis, je furette, jusqu’à ce grand chêne. C’est étrange ! Je sens une odeur familière au pied de l’arbre. Cette odeur se rapproche, elle s’amplifie. Je la reconnais, c’est celle de Missis ! Où est-elle ? Je me mets à courir dans le parc, je profite que mon maître ne lève pas le nez de son livre. J’arpente les allées, je saute par-dessus les buissons, je deviens fou. Quand tout à coup, j’aperçois la chienne de mon cœur, étendue aux pieds d’une Lady en robe jaune. Missis !
Alan Alfredo Geday
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