top of page

Ronan de Locronan, 1980


 

Aurélie a oublié le temps, elle a perdu de vue ses parents dans la procession de ce mois de juillet. Elle se recueille et allume une bougie devant la statue de Jésus dans l’Église de Locronan où repose un saint pas comme les autres. Son cœur bat comme un métronome. Elle fait une petite prière, et ferme les yeux. Tous les ans, les Bretons du village de Locronan, dans le Finistère, se réunissent pour célébrer Saint Ronan, ce saint breton qui fait partie des saints mythiques de l’Armorique. Et la procession annuelle, aussi appelée « Troménie », s’étend sur six kilomètres. À l’église de Locronan, le saint y est représenté sur une dalle en pierre de kersanton, soutenue par six anges porteurs de blasons ; deux anges veillent à ses côtés, les quatre autres supportent la table funèbre. Le gisant du saint enfonce sa crosse dans la gueule d'un monstre et bénit de l’autre main. Un peu plus tôt, Aurélie suivait les prêtres qui portaient la statue de Saint Ronan en chantant des airs de miséricorde. Elle n’a pas plus vu sa mère depuis qu’elle s’est mêlée à la foule. Mais connaissez-vous l’histoire de Saint Ronan ? 

 

Ronan naquit quelque part en Irlande au VIème siècle, de parents païens. Le père de Ronan ne croyait pas en Dieu. Sa mère n’avait aucune foi en la résurrection, et le jeune Ronan en fut affecté dès son plus jeune âge. Il voyait les habitants du village se réunir à la petite chapelle, prier un Dieu vivant et avoir une raison de vivre. Son père était un acharné du travail. On ne savait pas trop ce qu’il faisait. Était-il un ébéniste à l’image de Saint Joseph ? Le jeune Ronan menait une vie paisible, il entendait le son du carillon tous les jours, et il priait tous les soirs le cœur de Jésus. Il se contentait de peu : admirer la nature irlandaise, regarder les oiseaux survoler leur maison, écouter les rivières. Un soir, avant de se coucher, quelque chose vint briser la tranquillité de leur foyer. Les bougies qui éclairaient la salle à manger vacillaient alors qu’il n’y avait pas de vent, la nature était silencieuse mais le ciel était éclairé par la foudre. Le père de Ronan toussait beaucoup, bien qu’il ne fasse pas froid. L’absence de brise ce soir-là était un phénomène mystérieux.

 

Dans la nuit, alors que Ronan dormait profondément, son chapelet à la main, un ange vint le réveiller. Il le retourna brusquement sur le lit, et retira sèchement le drap qui le couvrait. Ronan n’avait pas eu peur, il savait que Jésus lui avait envoyé un ange en réponse à ses prières incessantes. L’ange lui apparut, et avant que Ronan ne le questionnât, celui-ci lui murmura : « Pour sauver ton âme, tu dois aller habiter en Cornouaille sur les côtes françaises ! » C’est ainsi que Ronan quitta le domicile familial pour s’installer non loin de Locronan.

 

Les légendes disent beaucoup. Mais, un jour, alors que Ronan flânait à Locronan, il vit surgir un loup tenant dans sa gueule un mouton. Le loup s’apprêtait à dévorer le mouton d’un paysan qui le poursuivait. Le paysan pleurait de douleur. Ronan se prit de pitié devant l’homme et pria Dieu. Aussitôt, le loup lâcha prise et le mouton se retrouva aux pieds de Ronan qui le rendit à son humble propriétaire. Voilà le premier miracle que l’on attribua à Ronan.

 

Par la suite, le paysan alla souvent voir Ronan pour qu'il lui parlât de Dieu. Mais sa femme Kében ne l’entendait pas de cette façon. Elle accusa Ronan d'avoir ensorcelé sa famille, d’être un charlatan et un prédicateur. Qu’étaient ces chapelets ? Qu’étaient ces prières ? On ne croyait qu’au roi Gradlon à Locronan. Dieu était impuissant face à l’autorité du roi. Kében demanda à Ronan de quitter leur maison, sans quoi elle le châtierait. Ronan s’en alla sans demander son reste. Mais cela ne suffit pas à Kében, et elle ourdit un plan. Elle cacha sa fille dans un coffre, et se rendit devant le trône du roi Gradlon. Elle accusa Ronan d'avoir tué son enfant qui avait disparue, et de se transformer en loup.

 

Le roi ordonna qu’on attachât Ronan à un arbre et qu’on lâchat sur lui deux chiens sauvages et affamés. Sans s'émouvoir, Ronan fit un signe de croix sur son cœur. Aussitôt, les chiens s'enfuirent. Devant ce miracle, le roi eut foi en Ronan, et lui demanda ce qu'il voulait. Ce dernier demanda grâce pour Kében qui l’avait accusé, et annonça qu’elle avait enfermée sa propre fille dans un coffre. On alla voir le coffre, et on y trouva le cadavre de l'enfant qui avait fini par succomber. Ronan ressuscita la pauvre fillette d’une humble prière. Le roi et ses gardes se mirent à genoux devant ce troisième miracle, et demandèrent pardon à Ronan. Le pieux irlandais retourna dans sa maison et vécut en ermite le reste de sa vie, lassé de la violence de ses semblables.

 

Saint-Brieuc fut le lieu de la dernière retraite de Saint Ronan. Un paysan trouva le saint mort au matin, et décida de garder le bras droit comme relique. Ainsi, il le découpa, le cacha sous sa pelisse, et le rapporta chez lui. Mais la nuit, quelle ne fut pas sa terreur en découvrant son bras qui se détachait de son épaule ! Affolé, il s’empressa de retourner dans la demeure du défunt et de lui rendre son bras. Aussitôt fait, il retrouva le sien.

 

Pour savoir où l’enterrer, on déposa le cercueil de Saint Ronan sur une charrette tirée par deux bœufs, et on les laissa aller. Sur le chemin, la charrette rencontra Kében qui lessivait son linge au lavoir. Devant ce spectacle, elle ne put s’empêcher de se moquer. Mais alors qu’elle riait méchamment, la terre s'ouvrit en un précipice de flammes et de fumée. Une force surnaturelle la tira vers les tréfonds de l’enfer. Cet endroit demeura sous le nom de « tombe de Kében ». Puis les bœufs continuèrent leur chemin, jusqu’à s’arrêter dans une clairière, dans la chaleur du soleil. Ici, ils ne voulurent plus avancer, malgré la nuit qui tombait et le froid qui s’installait. C’est à cet endroit que Ronan fut enterré.

 

Aurélie connait bien l’histoire de Saint Ronan. Elle est très fière d’être bretonne et d’avoir un Saint tout droit venu d’Irlande. Elle termine sa prière quand tout à coup, une main se pose sur son épaule. C’est sa mère : « Aurélie, je te cherche depuis tout à l’heure ! As-tu fait une petite prière pour Saint Ronan ?»

 

Alan Alfredo Geday

bottom of page