— Viens fumer avec nous avant le latin…, propose John.
— Comment t’as fait pour choper des cigarettes ? demande Thomas.
— C’est mon daron ! Tu sais, il est vieux, et il ne remarque jamais une cigarette en moins quand il a entamé la moitié du paquet, répond John.
— Arrête de raconter des bobards ! Tu piques trois cigarettes à ton père tous les jours ? demande Thomas.
— C’est quoi ton problème ! C’est pas un bobard ! Et quand c’est pas les cigarettes de mon père, c’est celles de la directrice. Elle fume tellement, et elle a toujours six paquets sur son bureau. Je sais pas si t’as remarqué, mais elle va aux toilettes en laissant la porte de son bureau ouverte, explique John. Je fais semblant de vouloir lui parler, j’attends sagement dans le couloir, et hop ! Elle a souvent envie de pisser, elle doit avoir un problème de vessie. Donc y a plus qu’à se faufiler discretos…
— Tu vas te faire griller un de ces quatre ! Ma parole, t’es fou ! s’amuse Thomas.
— Moi, je suis un homme… J’ai pas froid aux yeux, dit John.
— Prouve-le ! insiste Thomas.
— Parfois, j’ai la trique, explique le garçon. J’aime les femmes et j’ai besoin de ma dose de nicotine tous les jours. Je te jure que quand je serai un grand directeur d’usine, comme papa, j’achèterai un paquet par jour, je fumerai cigarette sur cigarette, et pas des Malboro, mais bien des Rothmans. Et je dirai à mes employés d’aller me les chercher, tiens, j’irai pas m’emmerder !
— Bon tu la termines ta clope, les surveillants vont nous griller !
— T’inquiète, Liam surveille, tout est prévu ! Quand tu entends un sifflement, c’est qu’il faut se barrer !
— T’assures mon poulet ! s’amuse Thomas.
Tout à coup, les quatre entendent un sifflement. C’est Liam qui les prévient. Ils s’empressent d’écraser leur cigarette au sol. Puis ils la ramassent, et la jettent par-dessus le mur. C’est le cours de latin de Madame Béranger qui va commencer. La petite dame traverse la cour, sa pochette en cuir sous le bras, son grand chapeau à fleurs en équilibre sur son chignon gris.
— Je déteste cette garce ! s’énerve Thomas.
— Elle va encore nous apprendre à conjuguer les verbes en latin, continue John. L’imparfait du subjonctif ! Tu te rends compte ? Déjà que je sais pas ce que c’est, et en plus faut l’apprendre en latin ! Les langues mortes devraient rester mortes, crois-moi, ça porte malheur de parler une langue de morts !
— Moi, j’en ai rien à foutre du latin, c’est tellement ennuyeux. Les déclinaisons, c’est vraiment un truc de sadique, c’est un enfoiré qui a inventé ça ! J’espère que cette fois-ci, elle ne fouettera pas le parfum à la française. Son chanel ou je ne sais quoi… soupire Thomas.
— La dernière fois, elle m’avait demandé de bien nouer ma cravate pour le cours. Le respect ! Le respect ! Pour se faire respecter, faut déjà apprendre à parler anglais. Elle me tape sur les nerfs avec son accent de bouffeuse de grenouilles !
John et Thomas entrent dans la classe et s’asseyent à leur pupitre. Ils préparent leurs avions en papier, leurs boulettes et leur encrier. Madame Béranger a quelques minutes de retard, comme à son habitude. John noue bien le nœud de sa cravate, il n’a pas envie de recopier des lignes à la maison. Tout à coup, les élèves se lèvent, c’est Madame Béranger qui entre. « Hello children ! » lance-t-elle en roulant le « r », essoufflée. Elle monte sur l’estrade, dépose sa pochette sur son bureau, et écrit la date du jour au tableau. Puis elle se retourne. « Ça sent la cigarette par ici ! Qui a fumé avant mon cours ? » Les élèves s’exclament « oh ! », avec un air faussement indigné. C’en est trop pour Madame Béranger. Il faut découvrir les coupables. Elle choisit au hasard. « John, approchez-vous du tableau ! » Il s’exécute. « Ouvrez la bouche et soufflez ! » John souffle. Ça sent la réglisse ! Ce n’est certainement pas lui. « À partir d’aujourd’hui, au début de chaque cours, j’appellerai deux d’entre vous pour venir souffler au tableau ! il y en a assez de faire cours dans ces conditions-là ! » John lance un clin d’œil à son ami Thomas, il a eu chaud ! Mais il n’y a pas meilleur que lui pour les bêtises, jamais il ne se fera choper !
Alan Alfredo Geday
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