Ce soir, à l’Olympia de Paris, le lourd rideau rouge de la scène est tiré. La scène est pleine à craquer et les spectateurs sont calmes mais impatients. Ils attendent que cette voix divine vienne les emporter et les faire voyager. Mais où ? On dit que la musique d’Oum Kalthoum transperce le cœur des spectateurs comme une flèche. « J’ai du mal à croire que la diva égyptienne est à Paris ! » murmure une femme à son mari. Oum Kalthoum est une figure égyptienne légendaire, toute à la fois l’Édith Piaf et la Callas du monde arabe. Elle a bercé toute une jeunesse égyptienne avec ses chansons d’amour, inventant un nouveau lexique, une nouvelle langue tissée de contradictions, de doutes et d’états d’âme subtils. Elle a su charmer les pays arabes limitrophes, et sa voix s’est maintenant étendue à travers le monde entier. Quand on ne peut admirer la beauté des textes, on peut toutefois les ressentir et s’extasier devant cette voix capable de quatorze mille vibrations par seconde.
Oum Kalthoum, fille d’imam, grandit avec les chants religieux. Et c'est en écoutant son père enseigner le chant à son frère aîné qu'Oum Kalthoum apprit à chanter. Lorsque son père se rendit compte de la puissance de sa voix, il lui demanda de se joindre aux leçons. Très jeune, la petite fille montra des talents exceptionnels, au point qu'à dix ans, son père la fit entrer, déguisée en garçon, dans la petite troupe de cheikhs qu'il dirigeait. Elle ne pouvait être fille pour les chants religieux, mais elle méritait d’être entendue. Le père ne pouvait trouver mieux pour sa fille, et il préférait la savoir sur scène déguisée en garçon que de gâcher ce talent de sa chair. À seize ans, elle fut remarquée par un chanteur alors très célèbre qui la forma et la prit sous son aile. La famille s’installa au Caire, et Oum Kalthoum se produisit dans de petits théâtres, toujours habillée en garçon. Les enfants, les jeunes, les hommes, les femmes, tout le monde était hypnotisé par le « rossignol d’Égypte ». Oum Kalthoum était proche du peuple, elle comprenait les malheurs des uns et des autres, elle compatissait, elle faisait briller leurs émotions dans ses chansons. Et elle devint femme, et même « la dame », comme l’appelait Charles de Gaulle, et même l’une des plus grandes divas du monde.
Les replis du lourd rideau rouge commencent à bouger. Le brouhaha disparaît, les chuchotements s’éteignent tout comme le lustre de la grande salle. Les spectateurs rendent le silence. La diva fait son apparition. Elle est habillée d’une robe à motif fleuri et brille de mille feux. Des rubis, des émeraudes, des diamants et des topazes, c’est « l’astre d’Orient ». Les musiciens commencent un air, celui qui unit la nation égyptienne, celui qui parlera d’amour et d’éternité. Oum Kalthoum s’approche du microphone, puis tout à coup, sa voix résonne, spectaculaire, et vibre comme la voix d’un oiseau de Paradis. Oum Kalthoum est réputée pour ses refrains interminables, ses chants qui s’éternisent. Mais avec la portée de sa voix, personne ne peut s’en lasser. C’est une voix qui hante les cafés populaires du Caire, qui se mêle à la brise alexandrine, qui s’échappe des taxis et des fenêtres ouvertes de toute l’Égypte. Oum Kalthoum, ce soir à l’Olympia, est la quatrième pyramide d’Égypte. Sa voix du Nil emporte, sa voix d’Orient transperce :
« Mon amour, la nuit et son ciel
Ses étoiles, sa lune, sa magie
Et toi et moi,
Mon amour, ma vie à moi
Nous sommes complètement amoureux,
Et l’amour, ah l’amour,
L’amour nous fait veiller,
Il nous verse un verre de bonheur, et nous dit santé »
Alan Alfredo Geday
Comments