Un peu plus tôt dans l’après-midi, à Wall Street, dans la grande salle du New York Stock Exchange, les courtiers étaient sur le qui-vive. Leurs yeux ne se détournaient pas des écrans. Alertés et stressés, fumant comme des pompiers, ils observaient les courbes des valeurs des compagnies américaines cotées à la bourse de New York : Coca-Cola, JP Morgan, Ford et plein d’autres. Il s’agit d’acheter des actions pour faire de gros profits sur le long terme ou de petits gains sur le court terme. Il faut aussi savoir vendre au bon moment. Les courtiers de Wall Street se connaissent tous, et de riches magnats de l’industrie américaine leur confient des fonds, des sommes astronomiques, de l’argent à réinvestir dans le fleuron de l’économie américaine. Depuis la fin de la guerre, les États-Unis d’Amérique sont qualifiés de superpuissance. Et cette superpuissance se reflète tous les jours dans la grande salle de marché de Wall Street.
Les courtiers ne savaient plus où donner de la tête, quoi acheter, et surtout quoi vendre. Des milliers de compagnies sont cotées en bourse pour le public américain, mais aussi pour les investisseurs étrangers. La superpuissance ne fait pas défaut à ses usuriers. Ils sont intraitables et veulent gagner plus d’argent. Ce sont des Américains. Combien a-t-il fait ? Où est leur putain d’argent ? Pourquoi il n’investit pas dans l’armement ? Les disputes entre courtiers et rentiers sont fréquentes. « Le Dow Jones en hausse de cent points et quelques ! » hurlait un courtier à son équipe. Mais les valeurs pétrolières ont baissé. « Nous devons fermer les robinets ! Bordel de merde ! » criait un autre courtier. La rumeur circulait qu’un courtier du nom de Gino avait fait un million de dollars. Un million de dollars, c’est un million de billets d’un dollar, c’est deux cent mille billets de cinq dollars, c’est cent mille billets de dix dollars ! Et comme le dit si bien le billet d’un dollar : In God we trust. Mais ce n’est pas assez bordel ! Pour une maison à Miami, pour un appartement avec vue sur Central Park, pour une villa sur les bords de plage de Santa Monica à Los Angeles ! C’est ça, la drogue de Wall Street.
Les Américains ont confiance en leur économie florissante et expansionniste. Le capitalisme est la valeur sûre de ce pays où tout ce qui compte est le rendement et le travail. L’impérialisme américain viendra avec le temps. « Tout est possible dans ce pays ! » disait Gino à un courtier qui lui demandait des conseils. Et les investisseurs ne sont jamais satisfaits. Pourquoi l’action ne monte pas ? Il faut acheter, car le prix de l’action est bas. Les courtiers sont agacés. Ils connaissent leur métier mieux que quiconque. Ils connaissent les tendances et les indices. Tous les jours, dans la salle de marché, c’est le même fiasco, le même désordre. Certains se disputent, d’autres s’associent pour faire plus de profits. Gino la connaît, cette musique. Il était arrivé à Wall Street avec un peu moins de dix mille dollars, tout ce qu’il avait économisé quand il travaillait pour une petite banque dans le Minnesota. Le jour où il a atteint son million, il a découpé tous les articles des journaux qui relataient son exploit. Une petite chronique pour une grande histoire de succès. Mais Gino ne compte pas s’arrêter là, et il veut acheter des valeurs boursières très chères pour faire plus d’argent encore. Aujourd’hui, la journée n’a pas souri à tout le monde. Le succès de Gino résonne encore dans la grande salle, et tout le monde rêve de devenir comme lui.
Le soir, le théâtre ferme son rideau, et la fièvre de Wall Street retombe comme un soufflé.
Alan Alfredo Geday