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N° 3463, 1950


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Orpheline de père. Elle le sera toujours. Le numéro 3463 restera gravé dans sa mémoire à jamais. Norma Jeane n’est pas seulement Marilyn Monroe, elle est lucide sur l’effet qu’elle produit sur les hommes, elle est stratégique, elle est intelligente, elle n’est pas une potiche, une pin-up, elle est une œuvre d’art. Et une œuvre d’art, ça s’élabore. Elle est l’artiste et l’œuvre, les deux à la fois. Et elle en est fière, au fond d’elle, même quand on la regarde comme du gibier, elle sait de quoi elle est capable. Une main aux fesses, pourquoi pas ? Tant que ça la sert. On ne touche pas qu’avec les yeux, on touche avec des films à la clef, avec des rêves et des ambitions. Touchez, mais proposez. Touchez, mais offrez-moi la célébrité sur un plateau. Peu importe, ce magnifique corps est une œuvre d’art sur laquelle tous les hommes peuvent venir déposer leurs désirs, leurs fantasmes, leur idéal féminin. Elle est Vénus, la déesse de l’amour. Marilyn ne se démonte jamais et elle se promène dans les studios de production à la recherche des meilleurs rôles et d’hommes influents pour la protéger. C’est plutôt pas mal comme premier rôle. Être une figurante ! Elle avait appris par cœur les deux mots qu’elle devait dire et elle l’avait bien fait. « Salut Rad ! » devait-elle dire dans son premier rôle pour le film Scudda Hoo ! Scudda Hay !

 

Elle espère. Elle souhaite un vrai rôle de cinéma. Si elle si parfaite, si fantasmatique, que l’on tourne enfin les projecteurs vers elle. Elle crève l’écran et les cœurs, et même les pantalons… Elle est une bombe atomique à elle toute seule, une guerre froide à elle toute seule. Il faut que l’on sente sa force, son ambition, sa sensibilité. Et pas seulement son sex appeal. Ça suffit comme ça ! La blonde ! La blonde pulpeuse ! La blonde pulpeuse et bien d’autres choses ! Assez, c’est assez ! Marilyn s’est toujours sentie seule et abandonnée. Elle est née délaissée dans un orphelinat de Los Angeles, de père inconnu, sous le numéro immatriculé 3463. C’est une orpheline dans le cœur. On la traite comme une bonne à rien. Les producteurs lui ont toujours proposé des rôles stupides, chose qu’ils ne feraient jamais avec Jean Harlow ou Ava Gardner. Elles ne se rabaissent pas autant que Marilyn. Elles ne se laissent pas faire. Mais Marilyn ne veut pas faire la pimbêche, la mijaurée ou la diva. Elle n’a pas le caractère à résister ni la carrière d’ailleurs. Et à quoi bon résister ? C’est si bon de se sentir désirée.

 

Son rêve le plus profond, c’est de coucher avec son père. Elle en rêve nuit et jour. Son fantasme le plus fort est d’être nue avec lui et de lui proposer de passer la nuit avec elle. Ce serait une vengeance pour elle, un réconfort. Cet homme qui engrossa sa mère Gladys et qui ne voulut jamais savoir rien de sa fille. Elle aurait aimé le rendre esclave de son fantasme. Lui demander de faire l’amour, lui signifier que tout est permis avec sa fille. Elle y croit dur comme fer. Son père doit expier ses fautes.

 

— Scudda Hoo ! se moque le premier homme.

— Scudda Hay ! s’amuse le deuxième en tirant Marilyn vers lui.

— Vous les deux ! Vous vous moquez de moi, mais je vais me laisser désirer. Tu aimes mes jambes hein, et ma poitrine te plaît aussi. Allez, viens, mon chouchou ! Viens, sinon ce soir tu rentreras chez toi sans avoir…

— Sans avoir quoi, rigole le premier macho.

— Sans avoir tiré ton coup, s’amuse le deuxième.

 

Les deux hommes poussent Marilyn Monroe dans la piscine. Qu’elle est belle ! Comment a-t-elle fait pour avoir toutes ces belles formes ! C’est une vraie bombe ! Marilyn plonge et leur sourit. Sa beauté, elle la doit à un vieil homme qui porte le nom de docteur Hyde. Elle était arrivée dans sa clinique en pleurant, en versant des larmes et en pleurnichant comme une enfant perdue. Elle était déçue de ce qu’elle était. Elle avait honte. C’était une blonde stupide. Quand elle avait rencontré docteur Hyde, les choses s’étaient bien passées. Une touche sur le menton, puis sur le nez, puis sur les cheveux. La liste fut longue. Le vieil homme tomba amoureux de sa créature, mais disparut un an plus tard.

 

Marilyn était devenue une femme fatale ! Marilyn était Monroe !

 

« Saute mon amour ! Toi aussi, viens mon petit chaton. Viens nager avec moi ! » demande-t-elle à l’un des hommes. Les deux hommes refusent de sauter dans la piscine. Leur fantasme s’estompe. Ils étaient excités la dernière semaine à l’idée de se faire photographier avec Marilyn Monroe. Maintenant que c’est fini, ils dévalent la pente. Ils ne peuvent qu’être déçus et déprimés. Marilyn fait une longueur en apnée. C’est un dauphin qui émerge des eaux bleues et limpides. Elle est belle, elle est tout autre. Elle aime provoquer.

 

— Allez venez ! Vous n’allez tout de même pas me faire ce coup ! Venez mes amours…

 

Alan Alfredo Geday 

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