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Monsieur Glenn, 1960


 

Élizabeth ne doute pas une seconde de la gentillesse de Monsieur Glenn. Cette pigiste pour un quotidien britannique s’est déplacée jusqu’en Écosse pour obtenir le meilleur aperçu et compte rendu du tricot d’un Écossais doué en la matière. Et cet homme s’appelle Monsieur Glenn. Très accueillant en tout cas !

                  — Non merci, je ne peux pas boire de whiskey à cette heure de la journée, répond poliment Élizabeth.

              — C’est dommage ! Ce whiskey vient d’une nouvelle distillerie. C’est notre boisson préférée, ici, en Écosse, ajoute-t-il avec fierté. Alors qu’est-ce qui vous amène jusqu’à Édinbourg ?

               — Surtout la beauté des paysages. Ce sont ces belles montagnes boisées aux millions de pins sylvestres. La fraicheur de la forêt m’a beaucoup manqué.

                  — Donc, ce n’est pas la première fois que vous venez dans les Highlands ?

                  — Non, je viens régulièrement, répond avec courtoisie Élizabeth.

 

Monsieur Glenn vit à Édinbourg. Il adore le tricot « après le Très-Haut » comme il le dit si bien. Sa passion et sa fierté, c’est de tricoter des tartans aux couleurs traditionnelles, et de les revendre à l’élite londonienne. En Écosse, il fait toujours grincheux, le temps est maussade, le ciel toujours gris, mais la fierté de la laine reste ancrée dans les esprits des habitants d’Édinbourg. En effet, l’Écosse détient le plus large troupeau de moutons du continent. « De quel continent parlez-vous ? » demande Élizabeth. Ici, on est sur une île, le Royaume Uni ! « Et dans les Highlands, on est sur une dizaine île ! » continue-t-il en maniant ses aiguilles. Monsieur Glenn est convaincu de ses efforts interminables pour achever son tartan. Le tartan est un tissu en laine à carreaux de couleurs. Plus précisément, le motif est composé de lignes horizontales et verticales entrecroisées, des lignes qui peuvent être d’une multitude de couleurs. Techniquement, il s’agit de bandes alternées de fils teints dans la masse, aussi bien pour la trame que pour la chaîne. Les blocs de couleur se répètent verticalement et horizontalement pour former un motif de carrés et de lignes que l’on appelle le sett.

Le vert brille dans les clans qui viennent d'Irlande, comme les Mac-Kenzies ; le rouge dans les Celtes-Bretons, comme les Mac-Grégor, et le jaune dans les clans danois, comme les Mac-Leods », explique Monsieur Glenn. « Mais attention, bien que le tartan désigne aujourd’hui le tissu écossais des Highlands, il décrivait à l’origine la manière dont le fil était tissé pour créer l’étoffe ! Est-ce que ça vous aide pour votre article ?

— Merci beaucoup ! Je suis pigiste au Morning Sun. Et mon supérieur éditorial va certainement apprécier vos explications et votre accueil.

— Mais enfin, prenez un verre de whiskey ! Arrêtez de tourner autour du pot ! s’amuse Monsieur Glenn en déposant son tricot et en s’emparant de son verre.

 

Pour Monsieur Glenn, le tricot est un éternel recommencement. Les Londoniens ne cessent de s’habiller. Et quand ils ont porté leur tartan tout l’hiver, l’automne, ils en rachètent un pour l’année à venir. Il se concentre. Le tricot, après tout, est une affaire d’hommes ! Ses fils sont toujours droits et parallèles, soit dans le sens de la chaîne soit dans le sens de la trame. « Par opposition, le fil d'une étoffe tricotée suit un trajet en méandres, formant des boucles symétriques ou mailles successivement au-dessus et au-dessous du chemin moyen. Ces mailles en méandres peuvent facilement être étirées dans diverses directions », explique-t-ik.

 

                  — Est-ce que vous vous considérez britannique ? demande Élizabeth.

                  — Non, mon cœur restera écossais à jamais !

                  — Vous êtes donc fier ?

                  — Pour plusieurs raisons ! Pour notre laine, notre wiskey et notre poète…

                  — Votre poète ? demande avec curiosité Élizabeth.

               — Robert Burns, l’un des plus grands à jamais, s’amuse Monsieur Glenn. Sa personne était forte et robuste. Ses manières étaient rustiques, pas clownesques, une sorte de platitude et de simplicité dignes. Vous pourriez parler à votre supérieur éditorial de Robert Burns. Il doit certainement connaître.

                  —  Vous connaissez l’un de ses poèmes par cœur ? Vous pourriez m’en réciter un ?

                  — Je connais ceci, mais je vous invite à le lire plus consciencieusement : « Nous avons tous les deux pagayé dans le courant, du soleil du matin jusqu'au dîner. Mais les mers entre nous ont rugi depuis des jours lointains », récite avec solennité le vieil homme.

                  — Très beau !

 

Alan Alfredo Geday

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