Je m’appelle Mary Turner. Aujourd’hui est le plus beau jour de ma vie. C’est le jour de mon mariage avec l’homme que j’aime plus que tout, John Turner. J’ai dit « oui » à un ramoneur. Quand je l’ai rencontré, il tenait un balai, et son visage était noir de suie. Je ne connais pas le métier des cheminées, car je suis une chanteuse d’opéra. Je pense qu’il n’y a pas de sous-métier. Mais je reviendrai plus tard sur notre rencontre opportune. J’ai chanté en Italie, à Londres et même à Chicago. Je chante comme un rossignol, et j’ai cinq cordes vocales. Ma carrière n’en est qu’à ses débuts. Je chante depuis le plus jeune âge. J’étais enfant de chœur dans l’église du village. Le chant n’est pas inné. Il se pratique, il se travaille. Je rentrais à la maison, et je chantais toute seule dans ma chambre, j’exerçais ma voix. Je restais rêveuse. Je pensais à mon futur mari. Et un beau jour, un homme me repéra parmi les enfants de chœur. Ce fut la chance de ma vie. J’ai rejoint grâce à lui l’Opéra de Londres comme remplaçante. La chanteuse d’Opéra que je devais remplacer est tombée gravement malade à cause d’une infection pulmonaire. Parfois, quand je vois John, je suis hantée à l’idée qu’il attrape la même maladie à cause des conduits de cheminée. Ce soir-là, l’élite londonienne était impressionnée et bercée par ma voix talentueuse. Les spectateurs m’ont même surnommé « La Callas de Londres ». J’ai eu droit à une ovation de la part du public, j’étais émue, des larmes ont coulé sur mon visage. C’est là que tout commença.
J’organisais des réceptions dans mon appartement londoniens. Des hommes et des femmes venaient siroter un verre de whisky autour de ma cheminée. En hiver, il fait froid ! Parfois, on ne sait pas à quel moment on peut faire une rencontre. Ma cheminée avait besoin d’être ramonée. J’ai donc fait appel à John Turner, le ramoneur. Il s’est présenté à mon appartement avec une série de balai. Il a frappé à ma porte en disant : « Ramonage de cheminée ! Ramonage de cheminée à Nothing Hill ! » Quand je l’ai vu la première fois, j’ai été éblouie par son visage angélique parsemé de ride. J’aime les gens travailleurs, et John en est un. Il vit de la sueur de son front, comme le dit la Bible. Mais quelque chose m’a changé le jour où je l’ai vu. Je n’allais tout de même pas m’amouracher d’un ramoneur. L’idée était folle. Mais il était beau, grand et bien bâti. Ses bras étaient musclés, son torse velu.
Quand le grand jour est arrivé, John a invité tous ses amis ramoneurs à se joindre au mariage à l’église. Ils sont tous venus habillés de la même façon, genre old school des pensions anglaises. Une chemise blanche avec une cravate à rayures vertes. À la fin de la cérémonie, les ramoneurs ont tous ôté leur cravate, et ils les ont lancés sur moi sur le parvis. John a organisé un spectacle assez atypique. Il a demandé à tous les ramoneurs de danser avec des balais. Ils m’ont fait tourner en rond, et ils m’ont soulevé. « Vive la mariée ! Vives les mariés ! » hurlaient-ils.
Alan Alfredo Geday
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