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Ma petite-fille, 1960


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Ma petite-fille ! Qu’elle est belle ! Elle est très belle. Qu’elle est douce et attentionnée à tout ce qu’on lui dit. Ma petite-fille, c’est ce que j’ai de plus précieux au monde. J’adore la voir jouer sur la plage de Nice avec les autres enfants. Figurez-vous qu’elle n’a que six ans. Elle est bien mûre pour son âge. Pour vous donner un peu la différence d’âge entre nous deux, moi, j’en quatre-vingt-cinq. Et cela fait six ans que je suis grand-mère. Il a fallu attendre que ma petite-fille naisse, il a fallu espérer, car Margot, qui est ma fille et la mère de ma petite-fille, a eu des complications à l’accouchement. Mais tout s’est bien passé, grâce à Dieu. Je me réveille tous les matins, et j’ai droit à des centaines de câlins de ma petite-fille. « Mamie, je t’aime ! » me dit-elle. « Mamie, accompagne-moi à l’école », me demande-t-elle. « Mamie, je veux que tu me lises une belle histoire ! » me supplie-t-elle. Je n’hésite pas ! Quoi de mieux que les fables de Lafontaine ? Elles sont merveilleusement racontées, et Annie les adore. Oui, je me confie à vous. Annie, c’est son prénom. Parfois, elle s’endort sur moi, et je la recouvre de son drap jusqu’au lendemain matin.

 

Et le matin, je dois attendre longtemps avant de la voir se réveiller. La raison n’est pas qu’elle fait la grasse matinée. La raison est tout autre. Je suis une octogénaire, et je me lève à quatre heures du matin. L’appartement de ma fille Margot donne sur la plage, juste devant la Promenade des Anglais. Cet appartement est une vraie bénédiction pour notre petite famille. Je me sers un grand bol de café noir, et je prends place sur le balcon. Figurez-vous qu’il y a longtemps que j’ai arrêté de fumer. Quand j’ai compris que je pouvais encore voir, toucher et connaitre ma petite-fille, j’ai tout de suite arrêté. Déjà six ans, à la naissance d’Annie ! Et tous les matins quand elle se réveille, j’ai la même joie que le jour de sa naissance. Elle était douce, elle avait les yeux verts. Mes jours ne sont pas comptés. Mais vous savez ? J’ai quand même quatre vingt cinq ans. À cet âge-là, le matin, sur le balcon, on attend patiemment les premières lueurs de l’horizon. Puis une fine ligne se dessine, le soleil se lève sur la ville de Nice. Les premières voitures commencent à rouler sur la Promenade des Anglais. Il faut attendre un peu plus avant qu’Annie se réveille. La voilà : « Mamie, je te cherchais ! » s’exclame-t-elle.

 

Un œuf à la coque se prépare trop rapidement. J’aurai aimé qu’elle mange un œuf bouilli. Car les secondes avec ma petite-fille sont comptées, les minutes, les quarts d’heure. Elle ne va pas tarder à attraper le bus pour aller à l’école. Hier c’était dimanche ! Elle nageait, plongeait et replongeait dans les vagues, elle construisait un château de sable avec sa pelle et son seau. Et je la regardais infiniment et intensément. J’étais pensive. « Mamie, regarde-moi ! » hurlait-elle en montrant sa prouesse. Elle voulait que je l’observe plonger dans la mer. Et j’applaudissais : « Bravo ma petite-fille ! » J’attends impatiemment vendredi pour profiter de deux jours avec elle. Puis le lundi revient ! La cuisson des œufs à la coque est trop courte ! Puis elle repart à l’école. Le soir, ce sont les devoirs à la maison et une fable de La Fontaine pour l’endormir.

 

Je vous fais une confidence. Mon temps est compté, mais je n’ai pas peur !

 

Alan Alfredo Geday

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