Le 13 octobre 1972, les membres de l’équipe de rugby amateur Old Christians Club de Montevideo, en Uruguay, embarquent à bord du vol 571 à destination de Santiago au Chili pour disputer un match amical avec l’équipe locale. La plupart des joueurs ont à peine dix-huit ans. Ils s’installent gaiement dans l’avion. Ça va être un sacré match ! On se taquine, on s’échange un ballon à travers les rangées, on chante et on s’agite comme on le fait habituellement dans le bus. Les adolescents parlent de leurs premiers flirts, de rugby et des universités qu’ils espèrent intégrer à la rentrée grâce à leur bourse de sportif. Ils ne connaissent pas encore le sort qui les attend. Un destin pas comme les autres ! Du moins, pour les survivants…
Une heure s’écoule et le co-pilote demande au steward de calmer le jeu à l’arrière de l’avion. Les adolescents font un grabuge pas possible. Roy refuse de s’asseoir, il ne tient plus en place, il a envie de s’étirer les jambes. Le steward le gronde gentiment, après tout, c’est un gamin. Quant à Nando, il est bien décidé à mimer ses performances avec les filles devant les copains, malgré la présence de sa mère et de sa sœur Suzanna. « Calmez-vous, les gars ! Gardez des forces pour le match ! » leur demande l’entraîneur. Roberto est plus paisible, il observe les nuages à travers le hublot, rêvant de ses futures études de médecine à l’université. Soudain, on leur demande de boucler leur ceinture à l’approche d’une zone de turbulence. On s’amuse, on pense que c’est pour leur faire peur, pour les faire asseoir sagement. Le steward insiste, ce n’est pas une plaisanterie. Mais rien à faire ! Les jeunes hommes refusent de suivre les consignes. L’un d’eux s’empare du microphone de l’avion et s’adresse à tous les joueurs : « Asseyez-vous bande de sauvages, par ordre du pilote ! Et taisez-vous ! » On éclate de rire. Il ne se passe rien dans cet avion qui bourdonne comme une grosse mouche dans le ciel ! On les prend pour des enfants ou quoi ? On est des joueurs de rugby, on n’a peur de rien et on a la vie devant soi, on est invincible ! Tout à coup, c’est une poche d’air qui vient secouer les joueurs et le steward qui manque de tomber. Les visages se décomposent. On prend conscience du danger. Les joueurs de rugby n’ont d’autre choix que de s’asseoir, d’attendre que ça se termine, de fumer des cigarettes. L’avion tangue dans tous les sens. On s’agrippe discrètement à son siège. On ne veut pas passer pour un peureux, mais on s’inquiète. L’un des joueurs demande au steward : « Est-ce qu’on est supposé voler si près des montagnes de la cordillère ? » Il ne répond pas mais il est livide. Tout à coup, le nez de l’avion se relève dans la frayeur des passagers. On a des haut-le-cœur, l’adrénaline remonte dans la poitrine. On se met à crier. Puis l’arrière de l’avion percute un flanc de montagne. C’est un bruit fracassant, tout droit sorti de l’enfer. Ils sont perdus, ils vont mourir ! Ils sont si jeunes ! L’avion se coupe en deux et le devant continue sa descente en glissant sur plus d’une centaine de mètres avant de venir percuter un amas de neige.
Les pilotes sont morts. À l’arrière de l’avion, le spectacle est insensé. Nando est dans le coma, sa sœur Suzanna essaye de le réveiller, en vain. Roberto est le premier à se lever et à aider les autres à se mettre à l’abri. Il compte le nombre de survivants. Sur quarante-cinq passagers, seuls vingt-neuf ne sont pas tombés ou mortellement blessés. Il peine à déblayer la voie pour les passagers, tous les sièges sont sens dessus dessous. La carlingue est stable, et les sièges ont été propulsés vers l’avant de l’avion sous l’effet du choc.
Cinq jours plus tard, sans eau et sans nourriture, les survivants attendent toujours les secours. Le groupe s’est installé dans la carlingue, abritée du vent et de la neige par une barricade de valises. Ils ont pourtant tout essayé. Écrire un SOS sur le toit de l’avion à l’aide d’un rouge à lèvres. Il n’y en avait pas assez. Faire des feux de tout ce qui était inflammable. En vain. La carcasse blanche de l’avion est invisible dans la neige, la chaîne de montagnes est immense. Roy s’y connaît en électronique. À partir d’un transistor, il a réussi à monter une grande antenne lui permettant de capter des fréquences radio. D’après ce que la radio raconte, les recherches sont en cours par le service chilien de recherche et de sauvetage. Ils ont un espoir, ils ont une chance. Nando s’est réveillé, et les deux essayent de trouver des solutions pour survivre en attendant les secours. Les denrées sont maigres, quelques casse-croûtes qui disparaissent comme neige au soleil : huit tablettes de chocolat, une boîte de moules, trois petits pots de confiture, une boîte d'amandes, quelques dattes, des bonbons, des prunes séchées et plusieurs bouteilles de vin. Et le froid les affame. Et puis le onzième jour, Roy intercepte une mauvaise nouvelle : les recherches sont arrêtées. Il prévient l’équipage : « C’est une bonne nouvelle, on ne nous cherche plus ! » On se met à sangloter, à prier, on se désespère. Un silence de plomb s’installe dans l’avion. Et enfin, quelqu’un ose demander à Nando : « Pourquoi tu dis que c’est une bonne nouvelle ? » Nando ne se démonte pas : « Parce qu’à partir d’aujourd’hui, on va se débrouiller seuls, on va sortir d’ici par nous-mêmes ! »
Aux journalistes, Roberto racontera : « Notre objectif commun était de survivre, mais ce qui nous manquait, c'était la nourriture. Il y avait longtemps que nous n'avions plus de maigres provisions dans l'avion, et il n'y avait plus de végétation ni de vie animale. Après quelques jours seulement, nous avions la sensation que notre propre corps se consumait pour rester en vie. En peu de temps, nous devenions trop faibles pour nous remettre de la famine. Nous connaissions la réponse, mais elle était trop terrible à envisager. Les corps de nos amis et de nos coéquipiers, préservés à l'extérieur dans la neige et la glace, contenaient des protéines vitales qui pouvaient nous aider à survivre. Mais pouvions-nous le faire ? »
Les survivants ne peuvent pas attendre, dormir et se morfondre dans la carlingue indéfiniment. Nando tente de persuader Roberto de traverser quelques flancs de montagnes à pied. Ce dernier n’est pas convaincu et préfère attendre les beaux jours du mois de décembre. Finalement, les deux prennent leur courage à deux mains et, un matin, ils quittent la carlingue pour traverser les montagnes. Un long périple d’une dizaine de jours dont ils se souviendront toute leur vie, une aventure extraordinaire. Nando et Roberto bravent les tempêtes, la neige et le vent. Ils puisent dans leurs ressources psychologiques et physiques, au-delà de tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Ils ont emmené des provisions, des morceaux de corps de leurs amis, de leurs familles, de ceux qui n’ont pas eu la chance de survivre au crash ou les huit semaines d’après.
Le soixante-douzième jour, les quatorze derniers survivants reclus dans la carlingue entendent un bruit s’élever dans les montagnes. À leur grande stupéfaction, ils sortent de la carlingue et aperçoivent deux hélicoptères au loin. Leur joie ne se dissimule pas, ils lèvent les bras, ils hurlent, ils crient et pleurent. Nando et Roberto ont réussi à traverser la cordillère des Andes. Ils ont appelé des renforts et des secours. Ils sont sauvés.
Alan Alfredo Geday
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