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Les nuits d’Hollywood, 1956


Getty Images

 

Les soirées hollywoodiennes sont loin de l’image que l’on veut donner de l’Amérique au grand écran. En effet, les producteurs et les réalisateurs ne peuvent pas se permettre de dénuder une actrice pour un long métrage, de montrer des baisers trop longs, des caresses trop lascives, et tout doit être au-dessus de la ceinture. Bon goût et délicatesse sont imposés pour les scènes de chambre. Il s’agit surtout de défendre l’importance de l’institution du mariage, de ne jamais suggérer d’adultères ni de passions intenses. Tout est régi par le code Hays, un ensemble de règles strictes qui préservent la décence du cinéma. L’Amérique se veut pure dans ses mœurs et ses distractions. Mais il est un endroit de l’Amérique de l’Ouest que l’on appelle Hollywood, la ville du péché. Les acteurs et les actrices se sont concentrés sur les collines de Beverly Hills. On les croise dans les boutiques de luxe sur Sunset Boulevard et Rodeo Drive, mais surtout dans les grandes fêtes indécentes qui réjouissent les tabloïds. Les gens du cinéma sont décrits par les journalistes comme des femmes perdues voguant d’une orgie à l’autre, au bras de bellâtres vaniteux, dans un monde de luxe empoisonné par l’alcool, la drogue, la débauche et la folie.

 

— Lana Turner partage un amant avec Ava Gardner ! chuchote fièrement un serveur à son acolyte.

— Ça n’arrive qu’à Hollywood ! confirme un autre serveur occupé à servir des amuse-bouches.

Ce soir, parmi les convives, une femme se distingue par son allure et sa robe décolletée. Son parfum a envahi la soirée. Son déhanché a époustouflé Frank Sinatra, « le Tarzan des boudoirs ». Tout le monde la connaît, c’est une actrice secondaire de Hollywood, une habituée des soirées, mais surtout un modèle de magazines sexy. Les serveurs reconnaissent son derrière légendaire, mais doivent rester discret. Elle a posé dans Playboy et dévoilé à l’Amérique son fessier sous toutes les coutures. On la surnomme d’ailleurs « The back », ce qui veut dire « le derrière ».  Elle n’a pas la prétention d’une Ava Gardner, la notoriété d’une Marilyn Monroe, l’élégance d’une Audrey Hepburn, mais des fesses qui lui ouvrent les portes de toutes les soirées fastueuses de Hollywood. Les villas reçoivent les invités dans des atmosphères coquines et luxueuses. Ici, des décorateurs de cinéma se sont improvisés architectes d’intérieur, et l’on peut s’extasier devant la beauté du boudoir chinois, la salle de bains de marbre noir et le salon patiné d’or. Dans les nombreuses chambres de la villa, les convives s’en donnent à cœur joie.

 

Frank Sinatra se lève. Il épie « The back ». C’est l’occasion de lui parler, on ne sait jamais, elle est magnifique ce soir. Frank Sinatra n’est pas du tout du genre, c’est un homme sincère et sérieux. Mais quand on voit le derrière de cette actrice, on ne peut que succomber à la tentation.  

— J’ai lu le dernier Playboy, vous êtes une femme sulfureuse ! s’enthousiasme Frank Sinatra.

— Il y a lire et voir. Y a pas grand-chose à lire dans Playboy, s’amuse-t-elle. Et moi je vous ai vu jouer auprès de Grace Kelly dans votre dernier long métrage Haute Société. Vous êtes un acteur formidable !

— Ce n’est pas difficile d’être acteur quand on aime jouer… Une bouteille de champagne s’il vous plait, demande Frank Sinatra au serveur.

Le serveur s’exécute et revient avec un seau rempli de glace et un petit feu d’artifice. Ça étincelle, ça fume dans la grande salle de la soirée. Frank Sinatra sort une liasse de billets de la poche de sa veste sous les yeux ébahi du serveur.

— Quel est le plus gros pourboire que vous ayez reçu ? demande le chanteur.

— Cent dollars, Monsieur, répond-il avec courtoisie.

— En voici deux cents pour vous…

Alors que le serveur s’éloigne, satisfait, Frank Sinatra le rattrape.

— Par simple curiosité, qui a eu la générosité de vous donner cent dollars ?

— Mais c’est vous, Monsieur Sinatra, la semaine dernière…

« The back » éclate de rire. Sans le vouloir, Frank Sinatra a réussi à la séduire.

 

Alan Alfredo Geday

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