Les « gueules noires », telles qu’on les appelle, extraient du charbon tout au long de l’année dans les mines de Merseyside. Sans eux, les Londoniens ne pourraient pas se réchauffer cet hiver. Le travail est pénible et dangereux. Il est surtout mal payé. À une centaine de mètres sous terre, les hommes martèlent la roche. Ils chargent des wagonnets remplis de charbon. C’est un bruit saccadé et infernal lorsque les premiers roulent. Les hommes rampent sur le sol terreux munis de leur pic. Parfois à la lumière sombre d’une bougie. Les voix s’atténuent. On ne voit plus rien. On craque une allumette pour allumer une bougie. Et on en profite pour allumer une cigarette et tirer quelques lattes de bonheur. Les gueules noires ont du mal à respirer. Leur souffle est court. Pas le temps de manger ici. Juste un casse-croute. Deux miches de pain imprégnées de beurre. Parfois, pour se remonter le moral, on fredonne des chansons. Dans ce coin-là des mines, deux hommes chantonnent Here in my heart I'm alone, I'm so lonely d’Al Martino. On pense à sa femme.
Une deuxième équipe est prête à entrer dans les entrailles de la terre. C’est l’ascenseur mécanique qui va les descendre vers l’obscurité. Les gueules noires se relaient de nuit comme de jour pour extraire le charbon des mines de Merseyside. La veille, une gueule noire a rendu le souffle. Le pauvre homme est mort de suffocation après qu’un feu non maitrisé a été éteint. Les gueules noires veulent rendre hommage à leur confrère. Au fond, les piqueurs, les haveurs, les herscheurs, les boiseurs, les ouvriers du rocher, les boutefeux, les freinteurs et les receveurs se recueillent dans le noir de la mine de charbon. Ils ont été rejoints par les machinistes et les lampistes à la surface pour saluer leur cher frère. Ils se recueillent et invoquent Dieu de les épargner d’une mort prématurée. Et il est temps de reprendre le travail. Si ce n’était ce métier, qu’aurait pu faire les gueules noires. Cheminots ? Facteurs ? Ouvriers de chantier ? Les gueules noires sont solidaires. Et les mines, c’est aussi une histoire d’amitié entre les ouvriers, ces sacrées gueules noires.
Au fond d’une galerie, une gueule noire rampe sur le sol terreux, les voix des autres mineurs s’atténuent, il s’enfonce dans le tunnel, muni de son pic. Il a ôté ses gants et son casque, il avait trop chaud. Il ne craint plus rien à cette heure. Ni les coups de poussière, ni les coups de grisou. S’il doit y laisser sa peau, tant pis. Il est trop fatigué pour s’en préoccuper. Il rampe encore plus loin. Il arrive dans un lieu où la roche semble parfaite. Il va pouvoir la piquer à son aise. Va y avoir des cailloux à ramener aux berlines ! Il demandera de l’aide. Il passe sa main sur la roche humide. C’est bien, il lui faut juste un peu plus de lumière. Chose faite, il martèle le rocher à tour de bras. Sa position l’empêche de frapper aussi fort qu’il le voudrait et il est vite aveuglé par la poussière. Tout à coup, il entend l’écho d’une voix : « Ya quelqu’un ? Ya quelqu’un ? » Il répond de toutes ses forces. Mais à l’autre bout du tunnel, le mineur n’a pas entendu. « Ya quelqu’un ? » continue le mineur. « Oui, quelqu’un au travail ici ! » hurle l’homme. C’est probablement l’heure de rentrer. Mais la journée n'est pas terminée. Il faut ramener les éclats de roche aux berlines pour déblayer la voie.
Alan Alfredo Geday
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