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Les fleurs, 1945


 

— Que veux-tu faire ? lui demande Margaret.  

— Vivre avec toi pour toujours, n’importe où, répond son compagnon.

— En es-tu sûr ? répète la jeune infirmière.

La guerre est terminée, la détonation des bombes n'est plus, la voix de Winston Churchill s’est tue, le crissement des missiles V2 a disparu. Ils profitent du silence des fleurs. De leur parfum aussi. Le soleil s’écrase sur leurs joues, et les nuages s’étendent sans l’ombre d’un avion. Il leur semble que le ciel n’a jamais été aussi pur. Margaret ôte les pétales d’une pâquerette et s’amuse : « Je t’aime un peu, beaucoup... », et c’est l’enfance retrouvée, l’insouciance. Enfin, à jamais, les forces alliées l’ont emporté sur les forces du mal, les nazis ont été évincés. Comme Sodome et Gomorrhe, Berlin est tombé en ruine. Le Troisième Reich s’est écroulé. Pendant ces cinq années de guerre, on n’a pas vu le soleil, bien qu’il brillât. On n’a pas vu la lune, bien qu’elle miroitât. On ne profitait de rien, l’avenir était sans espoir. On courait d’un abri à un autre. On était cloitrés et confinés dans des sous-sols, des caves, des stations de métro, en redoutant le pire, quand les bombes éclataient, quand l’ennemi menaçait de partout. On tremblait, ensemble mais seuls. On craignait de mourir à chaque instant, ensemble mais seuls. Les habitants de Londres en voient de toutes les couleurs en ce printemps tapageur. John en a profité pour emmener sa bien-aimée dans les prés.

 

Quelques mois plus tôt, la maison de John fut rasée par un raid aérien, et le jeune homme en sortit grièvement blessé. Margaret et ses consœurs soignaient les civils dans les abris de Londres. « Puis je vous aider ? » lui demanda John alors qu’elle serrait un nœud autour de sa jambe droite avec un drap blanc. Il fallait empêcher le sang de couler et John en perdait trop. Il était éveillé, fort et tranquille. Sa sérénité étonna Margaret et l’impressionna.

— Vous êtes bien belle, lui glissa-t-il dans le creux de l’oreille alors qu’elle terminait son bandage de fortune.

— Mais enfin, vous n’allez pas bien, vous êtes en train de vous vider de votre sang...

— C’est vous qui me faites mal, mademoiselle l’infirmière…, soupira-t-il.

— Je suis en train de vous soigner bon sang de bon Dieu !

Elle éclata de rire, mais leur sort était scellé. Margaret tomba sous le charme de ce garçon fort, courageux, qui tentait de la séduire malgré son état déplorable. Pendant son séjour dans cet hôpital de fortune, les deux échangèrent beaucoup, et leurs conversations ne tarissaient jamais. Parfois, Margaret se prenait de frayeur quand elle entendait les missiles traverser le ciel. « N’ayez pas peur, notre Royal Air Force est la meilleure au monde, et elle ne faillira pas ! » lui répétait John. Il gardait le sourire, et ce sourire rassurait Margaret. Il était profondément optimiste. Il lui parlait de lendemains qui chantent, de la maison qu’ils auraient, du travail qu’il reprendrait au garage et de la moto qu’il retaperait pour eux, des escapades qu’ils pourraient faire dans le pays, enfin, des jours heureux qui suivraient la guerre. « J’ai envie de te croire », disait-elle.

 

Alan Alfredo Geday

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