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Les femmes canaris, 1941


Getty Images

 

Le canari est un oiseau toujours de bonne humeur. Il vous enchantera par son chant mélodieux. Cet oiseau au plumage jaune vif n’aime pas vivre seul. Et pourtant, il est le plus souvent enfermé dans une cage, loin de ses congénères. Un perchoir l’aide à passer le temps, et il s’y balance avec grâce et légèreté. On l’admire derrière ses barreaux, sans se douter de la tristesse qui habite ses piaillements agréables.

 

Alors que la guerre bat son plein sur le Vieux continent, Londres est en feu, bombardée et incendiée, mais pas vaincue. En ces temps difficiles, on a besoin des femmes dans les usines d’armement, les hommes étant mobilisés sur le champ de bataille. Les usines ont été transformées pour la production de guerre. Elles tournent à plein régime, battant tous les records. On ne produit plus des articles ménagers mais des pièces détachées d’avions et de navires, des munitions, des parachutes, des uniformes et des bottes. On ne fabrique plus des machines à coudre mais des bombes. On ne conçoit plus des aspirateurs mais des mitrailleuses, plus de chemises mais des moustiquaires, plus d'éviers de cuisine mais des douilles. Le travail dans ces usines est lourd et dangereux. Le TNT est une substance hautement toxique. Il contient de l'acide picrique qui a pour effet de rendre la peau des femmes jaune vif. D’où le surnom de « femmes canaris ».

 

Dans cette usine de production de munitions, deux femmes canaris discutent en travaillant. Elles sont chargées de remplir les bombes de TNT, cette poudre qui peut exploser à tout moment. Ces deux femmes s’appellent Elizabeth et Mary. Elizabeth vient tout juste de remplir une bombe de la poudre mortelle tandis que Mary nettoie la pointe des obus à l’aide d’une brosse. Il faut faire attention car la tâche est délicate. La semaine dernière, une bombe a explosé dans une usine du Nord de Canterbury. Elle a tué cinq femmes canaris. Des compensations financières ont été remises aux familles, mais l’argent ne peut pas remplacer la vie. Et en ces temps troublés, les « femmes canaris », aptes à travailler dans de petits espaces et à rester concentrées sur leurs tâches répétitives, comprennent le sens de leur mission. Le Vieux continent suffoque, ses poumons ne respirent plus, des millions d’hommes meurent tous les jours aux combats. La TNT ravage, et déchire les infrastructures emportant les âmes sur leur passage.

 

— Tous ces hommes qui perdent la vie ! Cinq femmes sont mortes mais il faut bien que nous participions à l’effort de guerre pour libérer l’Europe du démon ! insiste Elizabeth, convaincue de la victoire anglaise. Peut-être bombardée, peut-être incendiée, mais jamais vaincue !

          — Heureusement que je suis patriote. Je suis si fatiguée et à bout de nerfs, je n’arrive plus à dormir le soir. Qu’est-ce qu’on y gagne à part un salaire de misère et du lait qui soi-disant nous désintoxique !

           — J’en peux plus de ce lait ! Je veux être payée plus ! Le patron a promis de m’augmenter de 15 pourcents le mois prochain ! Je travaille dix heures par jour et six jours par semaine ! Je suis une femme canari ! Fière de l’être.

            — Tu n’es pas une femme canari, tu es une Rosie, s’amuse Mary.

 

Les femmes ne bénéficient que de quelques jours fériés et sont contraintes de faire des heures supplémentaires pour suivre la chaîne de montage qui ne s’arrête jamais. Elizabeth et Mary sont les précieux rouages d’une machine qui rassemble des milliers de femmes en Grande Bretagne. Elles sont indépendantes, travailleuses et patriotes, mais tout de même, elles rêvent de retrouver des jours paisibles.

 

Alan Alfredo Geday

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