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Le western spaghetti, 1960


Getty Images

 

Sergio Leone tergiverse longuement. Le jeune acteur fait une démonstration sur le cheval. Et c’est parti ! Le cheval galope, hennit avec force, soulève ses sabots sous l’impulsion de la bride et des éperons. L’acteur est impressionnant sur ce cheval qu’il ne connaît pas. Le cheval appartient aux studios et il a déjà joué dans de nombreux westerns, c’est une bonne bête parfaitement dressée, mais qui a son caractère. Mais Sergio Leone hésite, il ne lui faut pas un acteur cascadeur, mais bien un vrai cowboy. Pour tourner un western spaghetti, il lui faut un acteur qui a de la poigne, un visage dur, un regard à la fois sensible et pénétrant. Dans le Far West, la loi a toujours été celle du plus fort, et les héros des westerns sont de mauvais garçons au cœur meurtri. L’acteur doit savoir jongler avec un revolver autant qu’avec les émotions du spectateur. Dans le Far West, le revolver fait office d’ordre et de justice. Et les cowboys n’ont pas fini de régler leurs comptes pour des dettes non payées, des femmes enlevées et des vieillards humiliés. Dans les westerns spaghettis, la cruauté est au centre de l’histoire, même si l’humour n’est jamais loin. Sergio Leone souhaite donner un rythme effréné à son dernier long-métrage dont il ne connaît pas encore le titre. Cet acteur est un bon cascadeur, mais il n’a pas les épaules pour le rôle, ou plutôt pas la fragilité nécessaire à l’ambivalence du personnage qu’il imagine. Sergio Leone aime les antihéros, les héros cassés, vulnérables dans leur force. « Je vous remercie d’être venu faire cette démonstration », grommelle le réalisateur. L’acteur ne sera pas retenu. Sergio Leone reste pensif pendant qu’on calme le cheval encore surexcité. À quoi bon faire défiler une série d’acteurs ? Il connaît déjà l’homme qu’il lui faut. 

 

Et cet homme, c’est Clint Eastwood. Son visage est dur comme un roc, mais il porte cette brisure de la vie qui le rend hypnotique, tellement intéressant. Et son sourire cynique, ou tendre, ou fallacieux, est capable de porter n’importe quelle scène. Et son regard est celui d’un oiseau de proie, irrité par le sable, par l’ennemi, pénétrant le vide entre son revolver et celui de l’adversaire. Clint Eastwood incarne parfaitement les héros des westerns spaghettis. Il sait jouer l’ivrogne, le revanchard, la brute sans vergogne, mais aussi le héros sublime, l’amant passionné et le justicier idéaliste. Clint Eastwood adore Sergio Leone autant que Sergio Leone l’adore. Que font l’acteur et le réalisateur cette fois-ci ? Défendre la prostituée, voler un butin à la banque, abattre un méchant shérif ou un voleur de chevaux ? C’est tellement excitant d’être aux côtés de ce grand acteur ou de ce grand réalisateur de westerns. Sergio Leone relit son manuscrit. Clint Eastwood est l’homme parfait ! Il faudrait ajouter une scène de mutilation pour ouvrir le film. Non, plutôt une scène de tabassage. Une pendaison ferait bien la clôture de la première partie.

 

— Sergio ! Que faisons-nous ? demande un membre de son équipe. Deux cascadeurs attendent pour une démonstration, et trois acteurs veulent aussi…

— Laissez les cascadeurs, le coupe Sergio Leone. Pour les acteurs, j’ai déjà choisi celui que je veux.

— Entendu Sergio ! Les cascadeurs vont rester, nous allons demander aux acteurs de partir.

— Merci !

 

Sergio Leone donne une tape sur le dos du cheval. Il lui caresse la tête et lui chuchote : « Clint revient ! N’es-tu pas heureux ? » Sergio Leone cherche un signe providentiel pour cet acteur qui prendra le rôle du prochain cowboy. Il caresse le dos du cheval encore une fois. Le cheval frappe des sabots quand Sergio Leone lui répète : « Clint Eastwood, Clint Eastwood ! » C’est un signe, ce sera le meilleur western spaghetti jamais réalisé.

 

Alan Alfredo Geday

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