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Le vieil homme et son chien, 1954


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Dans son appartement de Greenwich dans la banlieue londonienne, Wilfried Dowman se lève avec difficulté. Il a dormi d’un sommeil léger. Quelle heure est-il ? Il regarde par sa fenêtre. Les premières lueurs du jour n’ont pas fait leur apparition encore. Un épais brouillard souffle sur la Tamise. Puis c’est au tour de son seul ami de se réveiller. Son chien Lexy n’est pas aussi vieux que lui. Du haut de ses quatre ans, Lexy ne va pas tarder à le rattraper. On dit que les chiens vieillissent vite. Quand Lexy aura onze ans, Wilfried Dowman en aura quatre-vingt-six. Qui va vivre le plus longtemps ? Personne ne le sait. Wilfried Dowman jette un œil sur l’horloge. Il est quatre heures et demie du matin. À cet âge-là, les nuits sont courtes et on ne dort pas beaucoup. « Lexy viens là ! » lance Wilfried Dowman à son chien qui s’exécute. Il le caresse, il le dorlote et se revigore. Lexy est un bon chien, toujours à l’écoute. Il est temps de prendre un bon thé English Breakfast. Cela fait plus de quinze ans que Wilfried Dowman a arrêté le café noir. Le thé est meilleur pour la santé, et le café nuit aux battements de son cœur. Il verse l’eau dans un poêlon, et la laisse mijoter avant de tremper son sachet de English Breakfast. La seule chose nuisible à son cœur est la cigarette Rothmans qu’il s’accorde tous les jours. N’est-il pas Britannique ? Les Rothmans sont des cigarettes prestigieuses et royales, à tel point que le roi Edward VII a accordé à Rothmans un mandat royal en 1900. Wilfried Dowman craque une allumette et savoure chaque instant de sa cigarette en buvant son thé. C’est la première et la dernière du jour. Mais la journée n’est pas encore terminée !

 

Le jour s’est levé. Le ciel s’est éclairci. Arrivé sur les quais de la Tamise avec Lexy, Wilfried Goodman admire le bateau à quai, le Cutty Stark. Il s’assoit sur le banc. Le Cutty Stark est l'un des derniers clippers britanniques à avoir été construit, en 1869, en Écosse. Il est fin, et il était rapide. Le Cutty Stark ramenait à son bord du thé de Chine en 122 jours. « Les navires ont bien évolué depuis ! » murmure le vieil homme à son chien. Ce navire est l’une des dernières fierté anglaise et reste exposé sur les quais de Greenwich sur la Tamise. Wilfried Goodman entend les voiles du navire claquer dans le vent. Son cœur palpite au même rythme. Et comme chaque jour, il fait le point sur sa vie, laissée derrière lui, en admirant le bateau paisible.

 

Il a passé plus de cinquante ans à transporter le courrier dans la banlieue Ouest de Londres. Il travaillait pour la Royal Mail. Il était facteur. Il est fier du métier qu’il a accompli. Quand il était entré dans cette institution royale, il n’avait que seize ans. C’était à la fin du siècle dernier, en 1890. Il se levait tous les matins à six heures pour arriver à temps au centre de triage du courrier. Son supérieur lui remettait une centaine de lettres qu’il devait mettre dans les boîtes des citoyens avant midi. Puis il enjambait sa bicyclette. Ce n’était pas une tâche facile, car il était souvent sollicité pour boire une tasse de thé avec les habitants qui le connaissaient. « Wilfried, viens boire du thé avec nous ! » lançait une mère de famille quand elle le voyait déposer le Herald Tribune, ce quotidien anglais. « Wilfried, un petit biscuit pour la route ! » proposait une adolescente. Mais Wilfried Goodman devait filer car il avait d’autres lettres à glisser dans les boites aux lettres. C’était son devoir, il accomplissait ses tâches à la perfection. Le temps est vite passé ! Toute une vie, tout un métier, toute une institution ! Le vent souffle sur la Tamise et les voiles du navire virevoltent. Wilfried Goodman caresse son chien, son cœur bat comme un métronome. Il regarde sa montre, il est midi, et pas un rayon de soleil. Midi, c’était la fin de son service de facteur. Quelques minutes plus tôt, c’était la dernière carte qu’il glissait dans une boîte aux lettres.

 

À cet âge, on passe quelques heures dehors pour se rafraichir l’esprit et les idées. Puis la journée touche à sa fin pour Wilfried Dowman. Il est temps de rentrer dans son appartement de Greenwich. Il veut faire une petite sieste avant d’entamer la lecture du Herald Tribune. Il ne s’intéresse pas beaucoup à la politique. Il aime suivre les performances de l’équipe anglaise de cricket, de rugby et de football. Un jour, l’équipe d’Angleterre de football gagnera le championnat mondial. Il en est convaincu. Il espère être là pour cette journée victorieuse. Lui n’a jamais pratiqué de sport d’équipe, mais il a maintenu sa santé à bicylcette . Wilfried Dowman s’étend sur son lit. La cadence de son cœur ralentit. Il a encore quelques années pour vivre. Lexy se couche à ses côtés. Wilfried Dowman s’assoupit.

 

La brise s’est levée, les voiles du Cutty Stark claquent de plus belle en cette fin d’après-midi !

 

Alan Alfredo Geday 

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