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Le vaurien, 1972


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Loin est le temps de l’enseignement de Mademoiselle Perdrix à l’école alsacienne. Elle pouvait enseigner jusqu’au sixième rang de la classe. Au-delà, elle ne voyait plus clair. C’était le monde de ceux qui ne fichaient rien, qui jouaient aux boulettes, qui lançaient des avions, qui collaient des chewing-gums sous les tables, ou qui s’endormaient sur leur cahier. Parmi eux, un élève à la trogne de travers et aux manières de cancre, le petit Jean-Paul Belmondo. Il était le prince des vauriens, et il tenait à cette réputation. La classe éclatait de rire à chacune de ses pitreries, et il ne manquait pas d’inventivité en la matière. Mademoiselle Perdrix voulait mater ce bon à rien au menton en galoche et à la bouche en tirelire. Mais en vain, il avait l’air d’un clown, avec ses cheveux ébouriffés, et clown il voulait rester. Son père se désolait, adieu le lycée Henri IV, adieu Louis Le Grand, son fils n’était destiné qu’à la médiocrité. Adieu les belles écoles, le fils prodige dont il avait rêvé. Jean-Paul débordait d’énergie, et il n’en faisait rien qui vaille. Au sortir des cours, Jean-Paul osait tout, la rue lui appartenait, et ses cascades impressionnaient les plus courageux de ses camarades. C’était une tête brûlée, et le moindre « chiche » appelait une bêtise. « Chiche que tu grimpes sur la statue de Catherine de Médicis ! » « Chiche que tu sautes dans la fontaine ! » « Chiche que tu fais rouler la poubelle jusqu’en bas de l’avenue ! » Et Jean-Paul sautait, escaladait, roule-boulait. Aucune barrière ne pouvait lui résister, aucun mur, ni aucune règle. Son père l’encourageait à se faire un avenir dans la boxe. S’il n’avait pas la tête froide, il pouvait se battre sur un ring, il pouvait se dépenser dignement. Au moins, Jean-Paul aurait du talent pour quelque chose. Mais sa première compétition fut un fiasco. Le public le huait, le surnommait « la sauterelle », et Jean-Paul perdit tous ses moyens. Le père plongea son visage dans ses mains, quelle humiliation ! Son fils n’avait du talent que pour le décevoir.

 

Le père envoya Jean-Paul au théâtre Marigny, il avait un ami qui pouvait lui dégoter un rôle, s'il se montrait à la hauteur de sa nouvelle lubie : « devenir comédien ». André Brunot accueillit le fils Belmondo avec perplexité. La réputation du jeune homme le précédait. Et qu'il était laid ! Sa démarche de saltimbanque, ses cheveux en bataille, ses yeux goguenards et sa blouse râpée ne présageaient rien de bon. André Bruno était un homme de lettres, un homme du théâtre, un homme de l’art. Que pouvait-il proposer à ce guignol qui arrivait les mains dans les poches ? Avait-il préparé un texte ? Non, il n'avait rien. Connaissait-il une tirade, quelques vers ? Non plus. Ah si, ce machin qu'il avait dû apprendre à l'école ! On lui avait donné une note pas trop dégueulasse en récitation. Le jeune homme se mit à balbutier « Le savetier et le financier ». Il se balançait comme un pantin au rythme des vers de La Fontaine, écorchant les liaisons, oubliant des mots, avec une gouaille vulgaire et une tête d'idiot. Le lendemain, son père reçut une lettre sans surprise. Jean-Paul n’était pas fait pour le théâtre. Son ami était franc comme on l'attend des amis. Que ferait-on de son fils ?

 

Alan Alfredo Geday

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