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Le Rosebud Diner, 1955


Getty Images

 

— Je veux un donut s’il te plaît Gladys, commande le client aux lunettes noires. Avec plein de sucre, celui-là !

— Tout de suite ! Mais tu n’es pas au régime pour ton cœur ?

— Arf ! Faut bien vivre, sinon mon petit cœur sera triste… Déjà quand il te voit, il va mieux !

— Avec un grand café ? répond Gladys, embarrassée.

— Oui, mais avec du lait, sinon c’est mauvais pour le cœur… Et beaucoup de sucre, comme tes yeux…

— C’est quoi le menu spécial aujourd’hui ? les interrompt un autre client.

— C’est le burger avec du bacon et de la sauce blue cheese.

— Hmmm, je vais réfléchir, répond le client.

— Ne réfléchissez pas trop ou il y en aura plus ! le prévient Gladys avec un clin d’œil.

Gladys travaille au Rosebud Diner depuis quinze ans. La moitié de sa vie. Elle aime bien son travail, même si certains disent que c’est un job d’étudiant, que c’est un job dégradant, facile. Mais ce n’est pas facile tous les jours de faire tourner le Rosebud, il faut avoir un bon contact avec les clients, déjà, surtout les habitués, et puis inventer des recettes régulièrement, mais pas trop nouvelles, juste ce qu’il faut d’originalité, et enfin il faut tenir le coup, avoir de l’énergie, pour travailler sans relâche, avoir toujours le sourire et des assiettes exemplaires. La constance est le maître mot. Il ne faut jamais décevoir. Et quand on se trompe, ce qui arrive, il faut savoir se faire pardonner. Et ça, Gladys a appris à le faire parfaitement, ça s’apprend, c’est comme tout, c’est une question d’expérience. Si le burger n’est pas assez cuit, il est renvoyé en cuisine, et le milk-shake est offert. Si le café est brûlé, c’est pareil, il faut offrir un donut. Toujours faire des petits cadeaux, toujours s’excuser, toujours être aux petits soins. Et puis aimer les gens. Mais ça, ça ne s’apprend pas. Gladys connaît bien ses habitués, et leur famille, et leur santé, et leur travail, et tout le tintouin. C’est naturellement qu’elle pose des questions, qu’elle s’intéresse à eux. C’est ce qu’elle aime dans son métier, les gens. Ce sont surtout des hommes qui fréquentent le Rosebud Diner, et parfois ils la taquinent, ils flirtent gentiment, ou moins gentiment, et elle doit rester courtoise, elle doit poser des limites au bon moment, garder le sourire, mais faire sentir qu’elle est une femme digne malgré tout. Servir, c’est tout un art. Et Gladys en est fière.

 

Gladys a une vie répétitive, mais elle aime ça. Ainsi, tous les soirs, après la fermeture et l’extinction du néon lumineux du Rosebud Diner, elle prépare avec le plus grand soin la sauce du lendemain. Elle les connaît toutes sur le bout des doigts. Sa préférée est la sauce Worcester. Elle n’en révélera jamais le secret. Elle garde la recette pour elle, car peut être qu’un jour, elle aura son propre wagon, son propre restaurant et qu’elle ne sera plus qu’une simple employée. La rumeur circule qu’en Amérique, les frères McDonald ont vendu leur sauce secrète du Big Mac pour une centaine de dollars. Gladys croit à la réussite et au rêve américain.   

 

— Merci ! lance Gladys à un client qui referme la porte du wagon.

Gladys appuie sur une sonnette. Elle le fait toujours pour remercier les clients lorsqu’elle reçoit un pourboire. Les pourboires lui permettent de mieux vivre. C’est sa gentillesse et sa générosité qui lui permettent d’empocher autant de pourboires. L’Amérique a confiance en Dieu. C’est bien ce qui est marqué sur tous les billets d’un dollar : « In God we trust » Et Gladys croit en tout ce que croient les Américains, la réussite et la bonté de Dieu.

 

Alan Alfredo Geday 

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