Paul est un père de famille impliqué et un patriote. Ce soir, il a convoqué ses quatre enfants avec solennité. Incarnant l’avenir du pays, ils ne peuvent décemment pas manquer le discours du président Kennedy. « Allez, sortez de vos chambres, le président va s’adresser à la Nation » a-t-il ordonné après s’être levé de table. Son épouse allume le poste de télévision et s’assoit en équilibre sur l’accoudoir du canapé. La place est libre pour les fervents spectateurs. Les enfants se concentrent, malgré leur jeune âge, influencés par le sérieux de leur père. Ils admirent le bureau ovale de la Maison Blanche. JFK, comme on l’appelle, soigne son entrée, à la fois humble et digne. Paul le dévisage avec admiration. Comme des millions d’autres américains, il est suspendu à ses lèvres. Ainsi, la voix du président grésille sur les ondes : « Le gouvernement fera tout son possible pour préserver l'ordre, protéger la vie des citoyens et faire respecter la loi »
Au même moment, la maison de Martin Luther King est bombardée. Des extrémistes d’Alabama ont voulu, une fois encore, rétablir l’ordre par la peur et la justice par le sang. Ils sont prêts à tout, mus par la haine, tremblant de perdre leurs privilèges, de voir s’ébranler leurs convictions, de voir changer leur monde. Celui-là voulait un rêve, et galvaniser tout un peuple. Celui-là faisait de beaux discours. Celui-là se prétendait pacifique. Voilà ce qu’il méritait. Un châtiment exemplaire. Dès le début de son mandat, le président John F. Kennedy est resté relativement silencieux sur la question des droits civiques des Afro-Américains. Il est demeuré prudent vis-à-vis du Sud, ce territoire marqué par la ségrégation et la discrimination, et empiétant sans scrupule sur les droits des États. Le président veut aussi éviter de contrarier les membres du Congrès, car il a déjà du mal à obtenir leur soutien pour la plupart de ses programmes nationaux.
— Papa, qu’est ce qui se passe ? demande la petite Jenny à son père.
— Écoute le discours du président ! C’est historique ! Il dit que les noirs et les blancs doivent être égaux dans ce pays…
— Pourquoi sont-ils si méchants avec eux dans l’Alabama ? s’inquiète Tony.
— Ce sont des extrémistes mon chéri ! confirme la mère. Ils ne pensent pas tout à fait comme nous.
— Et à New York ? demande l’ainé.
— Ici, c’est différent ! Lorsque Abraham Lincoln prononça son discours d’émancipation des Noirs, ils vinrent tous dans le Nord, notamment à Chicago et à New York pour fuir le Sud. Le Sud était un mauvais souvenir pour beaucoup d’entre eux…
— C’est qui Abraham Lincoln ? questionne Suzy, la plus jeune.
— Abraham Lincoln était le seizième président des États-Unis, explique le père à ses enfants. Il a été assassiné par un extrémiste ! précise-t-il avec une pointe de nostalgie.
Toutefois, la position de Kennedy sur les droits civils a commencé à évoluer lors des Freedom Rides de 1961, lorsque les Afro-Américains empruntaient des lignes de bus ségréguées dans le Sud. Bien qu'il ait dépêché des marshals fédéraux pour lutter contre la violence raciale, il a publiquement souligné que ses actions sont fondées sur la légalité et non sur la moralité. Les citoyens américains ont le droit constitutionnel de se déplacer et n’ont fait qu'appliquer ce droit. Néanmoins, plusieurs activistes ont encouragé le président à discuter de la question morale des droits civiques. En 1963, un nombre croissant d'Américains blancs, troublés par la montée en puissance de leaders noirs tels que Malcolm X, craignent que le mouvement des droits civiques ne prenne une tournure violente. La représentation de la violence raciale dans les médias profite également à la propagande de l'Union soviétique pendant la guerre froide et nuit à l'image des États-Unis à l'étranger, ce qui préoccupe grandement Kennedy.
C’est alors que le discours se termine. La mère éteint le poste de télévision et se prépare à coucher les enfants. Avant de leur dire « bonne nuit », elle leur glisse un mot dans le creux de l’oreille. « Soyez fiers d’être américains, c’est le plus grand pays du monde ». Mais Suzy continue de s’inquiéter :
— Maman j’ai peur, dit-elle.
— Tout va bien se passer…, la réconforte sa mère.
— Est-ce qu’ils vont assassiner le président Kennedy ? demande-t-elle.
— Quelle idée ! Bien sûr que non !
Alan Alfredo Geday