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Le petit ramoneur, 1903


 

Je m’appelle David Porter, et je suis Londonien. Un vrai de vrai ! Un vieux de la vieille ! Ici, à Notting Hill, toutes les familles bourgeoises me connaissent, et pourtant, moi, je n’ai pas de famille. Ni mère, ni père ! C’est un maître ramoneur qui est venu me chercher à l’orphelinat. Il m’a donné un endroit pour dormir, entre les sacs de suie de la cave, et sa femme Mary me prépare un bol de porridge chaud tous les matins. Je suis toujours noir, je n’ai pas la chance de prendre souvent un bain. Mais je me suis habitué, c’est mon métier que l’on voit sur mon visage ! Je crois que sans la suie de mes joues, les familles de Notting Hill ne me reconnaitraient même pas !  C’est un beau métier que le mien, un métier dangereux mais tellement utile ! Plus tard, quand je ne pourrai plus glisser dans les conduits parce que je serai trop grand et trop fort, je serai pompier. Parce que pompier, c’est aussi une histoire de feu, et que c’est aussi utile que ramoneur ! D’ailleurs, un mauvais ramoneur attire les pompiers dans les immeubles, parce que les cheminées encrassées prennent feu. J’ai un copain qui est mort brûlé dans une cheminée, c’est vraiment un métier à risques. Mais moi, je sais que ça ne m’arrivera pas, parce que j’ai une bonne étoile. Mon maître me crie souvent dessus, mais c’est pour mon bien, dit-il. Je sais que ce n’est pas toujours pour mon bien, parce qu’il me donne très peu d’argent et que je ne suis pas sûr qu’il soit très gentil, au fond, même s’il m’a sorti de cet affreux orphelinat. Les sœurs religieuses nous servaient des choux ! Tout ce que je mangeais avait un goût de choux ! De la soupe aux choux et rien que du chou !  Je crevais la dalle, car je refusais de terminer mon assiette le soir ! « David Porter, tu nettoieras toutes les assiettes ce soir ! » grondait la sœur religieuse. Et je ne sais pas ce que mon maître fait de la suie que je récupère dans les cheminées. Ça vaut une fortune ! La suie se revend pour quelques dimes sur le marché. Et moi, David Porter, je n’ai pas droit à mes parts. Mary est plus clémente. « David Porter, pauvre garçon ! » bredouille-t-elle lorsque je reçois une gifle de mon maître quand il a trop bu.

 

Aujourd’hui, j’ai ramoné la cheminée de la famille la plus riche de Notting Hill. C’est la plus belle maison que j’ai jamais vue depuis que j’exerce le métier de ramoneur. J’ai vu de grands tapis, des lustres immenses, des tableaux avec des cadres en or, des sculptures comme celles des fontaines publiques dans les jardins, et tout brillait, tout était propre, tout avait l’air aussi important que dans les églises, je n’aurais jamais osé toucher à rien. Même le tablier de la femme de chambre était blanc comme neige. Avec mes pieds noirs, j’avais peur de tout salir. J’étais comme un putois au Palais Royal, avec mes taches noires et mon odeur de rue. Et puis, surtout, j’ai aperçu la fille de Monsieur. Elle avait mon âge mais elle se comportait comme une petite dame. Sa robe avait de grands plis, ses cheveux tressés étaient blonds et ses yeux étaient comme des fleurs. J’ai même senti son parfum, et j’ai rougi de mon odeur. Elle avait l’air d’avoir une vie parfaite, et elle tenait une poupée dans ses mains, plus propre et plus jolie que tous les gens que je connais. C’est bête mais à ce moment-là, j’aurais bien aimé être une poupée, moi aussi, et être cajolé par une fille comme la fille de Monsieur. Quand j’ai terminé mon travail, c’est elle qui m’a tendu les pièces en me disant : « Merci ! » Ça m’a donné du courage, mais pas de l’espoir. L’espoir, c’est imaginer que quelque chose est possible. C’est attendre en rêvant. L’espoir, c’est ce que je ressentais dans mon lit à l’orphelinat, quand j’aimais me raconter des histoires. Mais maintenant, je ne veux plus d’histoires, parce que je suis grand.

 

Alan Alfredo Geday

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