Le soleil ne s’est pas encore levé sur le dôme du Capitole des États-Unis. Dans l’obscurité, la statue de la Liberté fait face à l’est et attend la montée du soleil. Elle porte un casque militaire orné d’étoiles et une tête d’aigle, symbole de la puissance américaine, elle-même couronnée par une crête en forme de parapluie.
Le soleil se lève enfin sur cette morne journée de novembre. Le drapeau des États-Unis d’Amérique est en berne. Le ciel se teinte d’un bleu glacial. L’Amérique est en deuil.
Des centaines de milliers d’Américains sont venus assister aux funérailles du président assassiné. Regroupés derrière les deux rangées parallèles de soldats, ils pleurent leur président. Le cortège a quitté la Maison-Blanche. Les sabots des chevaux claquent sèchement, le son des tambours assourdit les endeuillés. Caparaçonnés, les chevaux avancent sans cavaliers. Les drapeaux des cinquante États de l’Union flottent dans la brise. L’Amérique est triste, l’Amérique est blessée, trahie. Le caisson tiré par un cheval s’achemine sur l’avenue de Pennsylvania avant d’arriver au Capitole où le cercueil sera exposé sur le catafalque d’Abraham Lincoln. Les officiers de la US Navy rendent hommage à leur chef.
« Je m’appelle John Kennedy. Je suis le fils du président des États-Unis d’Amérique. Caroline est l’aînée, mais c’est moi le garçon, et je porte le nom de mon père. Je ne sais pas pourquoi ma mère ne m’a pas laissé embrasser le cercueil de mon père au Capitole devant les présidents, les princes et les rois. Pourtant, je ne suis pas turbulent. Je suis un garçon bien. Maman m’a dit de faire comme les officiers de la US Navy, de m’approcher et d’exécuter le salut militaire. C’est mieux ! C’est plus important que ce que Caroline a fait. Maman m’a dit de penser très fort à mon père quand je ferai le salut militaire. C’est ce que j’ai fait, j’ai pensé à tout ce que m’a dit mon papa. Papa m’a dit qu’un jour, un homme allait marcher sur la lune. Et pas n’importe lequel. Ce serait un Américain ! Les Américains sont les meilleurs astronautes du monde. Meilleurs que les Russes, que papa n’aimait pas beaucoup. Papa avait même une maquette de fusée dans son bureau. Une très grande maquette, et ce n’était pas un jouet. Elle venait de la NASA, c’est là qu’on fait les vraies fusées. D’ailleurs, je n’avais pas le droit de jouer avec la maquette, mais je pouvais la regarder. Papa disait que la lune était encore plus loin que je croyais, et pourtant je savais déjà qu’elle était loin dans le ciel, plus haute que les plus grands buildings de New York. J’ai répondu que je voulais aller sur la lune, il a ri et puis il m’a dit qu’on pouvait aller voir des avions, que c’était un bon début. Et on a vu des avions, des avions de chasse, des avions militaires. Il y avait plein de pilotes en uniforme qui avaient l’air de beaucoup respecter mon papa. Parce que mon père, c’était le commandant en chef, le commandant de toute l’armée. Et je suis rentré dans un avion à côté du pilote qui m’a montré les boutons et comment on bougeait les manettes. C’était très impressionnant. Je voulais décoller tout seul dans un avion de chasse et protéger l’Amérique. “Un jour, si tu suis les pas de ton père, tu commanderas !” m’a dit le pilote de l’avion de chasse. J’aime beaucoup la US Navy. Les hommes de la US Navy défendent notre grand pays, ils sont patriotes et courageux. Pendant que mon père discutait avec des généraux de l’armée américaine, un jeune pilote m’a pris de côté et m’a raconté la guerre. Il m’a parlé de cochons sur une baie, je n’ai pas tout compris. Pourquoi est-ce que l’armée américaine irait lancer des missiles sur des cochons ? Il m’a dit qu’ils étaient communistes, qu’ils vivaient sur une île très dangereuse. J’ai imaginé des cochons communistes. Il a ri aux éclats et m’a dit que ce n’étaient pas des bêtes, mais des Cubains. Je croyais que les communistes étaient russes. Il m’a dit que je comprendrais quand je serai plus grand et il a posé sa casquette sur mon front. Papa a dit que j’étais très élégant avec une casquette de pilote. La semaine d’après, mon père a organisé une séance photo dans son bureau de la Maison Blanche. « C’est mon fils John ! » disait-il au photographe. J’en ai pris plus que Caroline. Beaucoup plus de photos ! Encore une fois, je suis le garçon, mais elle est plus grande que moi. Maman n’était pas là. Puis tout à coup, le téléphone rouge a sonné. Mon père ordonna : « Les enfants ! » Et notre chère nounou est venue nous sortir du bureau. Je voulais écouter, mais c’était interdit. Papa avait un téléphone rouge secret pour parler directement au président Krouchtchtev qui a des bombes atomiques. Papa et le président russe sont les seuls au monde à pouvoir faire exploser des bombes atomiques et tuer plein de gens. Parfois, ça me faisait peur de penser à ça, que papa avait autant de responsabilités. C’est pour ça que quand le téléphone rouge a sonné, je me suis mis à pleurer. Caroline m’a rassuré et m’a dit que papa était très fort pour arranger les choses. Il n’empêche qu’on l’a assassiné. On a tiré sur mon papa. Maman disait qu’il était très protégé, qu’il ne risquait rien. Mais quelqu’un l’a tué quand même. Ce doit être quelqu’un de très méchant pour tuer un papa, pour tuer le plus grand président du monde. J’ai demandé à ma mère pourquoi elle n’a pas pleuré. Elle a répondu : « Les Kennedy ne pleurent pas ! » Caroline et moi, nous avons pleuré. J’avais honte, mais maman a répondu que les enfants avaient quand même le droit de pleurer. Mon oncle n’a pas pleuré. Enfin mon oncle ! Il y en a deux. Celui que j’aime le plus, Robert. Et celui que j’aime un peu moins, oncle Ted. Robert n’a pas pleuré. Oncle Ted n’a pas pleuré. Mon papa n’aurait pas pleuré non plus, et un jour, je serai aussi fort que mon papa. »
Alan Alfredo Geday
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