Ces deux gamins connaissent bien les vendanges qui rythment leur quartier au fil des saisons. Chaque période a ses joies, et chaque cabaret, bistrot, café et restaurant porte la robe rouge de ses vendanges. On est fier de servir « Le clos Berthaud », « La Goutte d'or », « Le Sacalie », « La Sauvageonne » ou encore « Le Picolo ». On est plein d’orgueil à l’idée de produire son propre nectar des dieux. Une eau de jouvence qui attire les artistes, les rêveurs et les marginaux. Un plaisir des sens qui fait fleurir les tableaux, les romans, les poèmes et tout ce qui peut élever l’esprit ! Montmartre est un lieu de fête avant tout, et un air de liberté embaume ses ruelles pavées. Ici, on est au-dessus de Paris et de ses toits gris, on a la vue dégagée, le regard surplombant. Comme sur l’Olympe, ou derrière les remparts d’un château. Ainsi, les parents de Jules et Gaston leur ont demandé d’aider les vignerons de Montmartre à cueillir les raisins : « Soyez sage ! Les vignerons vous récompenseront d’une façon ou d’une autre ». Aussitôt dit, aussitôt fait, et voici les deux mômes en costume folklorique qui s’enthousiasment parmi les grappes mûres et odorantes. Le soleil est au rendez-vous, et les gens de la Butte sont tous dehors, admirant les travailleurs qui fêteront bientôt la fin des récoltes et le début des réjouissances. Jules engloutit les grains avec plaisir. Ils sont sucrés comme des roudoudous ! Il n’a pas l’âge de boire du vin comme son papa, garagiste mécanicien de la Butte, qui aime poser une belle bouteille à côté de ses outils. « Quand on a les mains dans le cambouis toute la journée, il faut bien avoir un peu de joie », dit-il quand maman le gronde. Mais cette année, Jules pourra peut-être avoir le droit de goûter son travail… « J’espère bien savoir quel goût ça a, ce truc là que tout le monde boit ! » répond Gaston en fourrant une grappe dans sa bouche.
Montmartre est l’un des plus vieux vignobles de France. Situé sur le flanc Nord de la butte éponyme, ce quartier populaire a un charme fou, il a son âme et son indépendance, il n’est pas Paris, il est Montmartre, fief des vignerons depuis le XVIème siècle ! Un siècle s’écoule et le vin de Montmartre est un petit vin réservé à la consommation locale. Un dicton populaire de l'époque se moque de sa qualité qui semble être ici exclusivement diurétique : « C'est du vin de Montmartre, qui en boit pinte en pisse quarte ». Une pinte équivaut à une centaine de centilitres et une quarte à plus d’une cinquantaine de litres. Au début du XVIIe siècle, à l'emplacement actuel du Clos-Montmartre, s'élève une guinguette champêtre. Son nom, Le Parc de la Belle Gabrielle, vient du voisinage d'une maison qui aurait appartenu à Gabrielle d'Estrées, maîtresse du roi Henri IV. Une maison à l’image de la débauche charmante du lieu. Quant à la colline, elle est recouverte aux trois quarts de vignes, et le vin, non soumis aux droits d'octroi car en dehors de Paris, a favorisé l'ouverture de tavernes et cabarets.
Cette année, les vignerons ont invité le public et les habitants de Montmartre pour une traditionnelle démonstration de vendanges à l’ancienne. Jules et Gaston transportent les fruits de la vendange à la cave de Montmartre pour le foulage des grappes de raisins. Un fouloir sera proposé aux enfants qui prendront beaucoup de plaisir à trépigner dans le tonneau. Le jus qui jaillira entre les claies récompenseront leur dur labeur. « Pas plus d’un verre, c’est compris ? » leur ont dit leurs parents.
Alan Alfredo Geday