C’était le dernier « petit navire de Dunkerque » qui quittait la côte française. Après plusieurs centaines de milliers d’hommes évacués, il prenait le large avec ses congénères. À son bord se refugiaient les derniers soldats, sauvés de peu, de justesse épargnés par la Providence. Parmi eux, John était furieux de battre en retraite. Il avait laissé sur le rivage son casque vert, et la main sur ses cheveux emportés par le vent, il contemplait le ciel orageux, les coups de tonnerre qui fracassaient l’horizon, les lames tranchantes qui éclairaient les myriades de « petits navires de Dunkerque ». Le nuage de fumée noire provoqué par les réservoirs de pétrole de Dunkerque s’élevait dans le ciel, comme une cicatrice indélébile de la force du Troisième Reich, comme une trace constante de la résistance de l’armée britannique. John serrait les mains. Il voulait retourner sur le champ de bataille. C’était une défaite pour lui, d’avoir reculé devant les hommes de l’armée allemande. Il était honteux. Mais il n’avait pas le choix, tels étaient les ordres de Winston Churchill. « Évacuez tout le corps expéditionnaire ! » Le nuage de fumée noire s’épaississait et le denier soldat passa la main sur son front soucieux. Son casque lui manquait, il avait l’impression étrange d’être redevenu un civil, là, sur ce bateau prêté par des commerçants pour sauver les troupes. Là, dans la torpeur, s’enfonçant dans la mer, loin des détonations, du sang, des corps épars sur la plage. Il redevenait un homme. Après tout, il était vivant. Les Allemands avaient peut-être gagné cette bataille, mais la défaite anglaise à Dunkerque était un exploit. Et la guerre n’était pas terminée. Des milliers de soldats britanniques s’échappèrent par la mer grâce à ces navire marchands. Ils avaient au moins réussi à s’enfuir, et quand ils reviendraient… John reviendrait-il ? Allait-il mourir sur les côtes françaises, abattu à peine débarqué, comme un lapin sans défense ? Dunkerque s’effaçait sous la pluie. La ville semblait lavée de son sang. Le dernier soldat laissa les gouttes de pluie ruisseler sur son front. Il était sauf, et dans quelques heures, il foulerait le sol britannique en héros.
Sur les côtes anglaises, les « petits navires de Dunkerque » amarraient. Les soldats descendaient à quai, fiers d’avoir réalisé cet exploit : échapper à l’armée du Troisième Reich. La défaite était une victoire. Le dernier « petit navire de Dunkerque » n’était plus qu’à une centaine de mètres des côtes anglaise. Le dernier soldat regardait derrière lui la mer infinie, et le soleil qui descendait sur l’horizon. Hier, il combattait à Dunkerque. Aujourd’hui, il était de retour en Angleterre. Il passa la main dans ses cheveux avec une larme aux yeux. Le petit navire marchand amarrait, et le dernier soldat foulait le sol britannique sous les applaudissements de la foule.
Un jour, il reviendra ! Il reviendra sauver la France !
Alan Alfredo Geday