— Cette soirée des Mille et une nuit fut fabuleuse ! lance une artiste aux autres membres du club. Je suis éreintée ! Fourbue ! Exténuée ! Mais tellement ravie…
— Tu l’as dit ! J’ai pas vu le temps passer. J’ai dansé toute la nuit, et je crève la dalle. J’avalerais un lion. Un rhinocéros. Mais je tiens absolument à prendre mon petit déjeuner ici ! lui répond un peintre déguisé en bédouin d’Arabie.
— Ces soirées à thème sont magnifiques, elles m’enchantent. Heureusement que je sais faire quelque chose de mes dix doigts et que mes sculptures se vendent beaucoup trop cher. Sans ça, je ne serais pas là à festoyer avec vous… lance un sculpteur de bronze en Pierrot.
— Je vais rentrer récupérer du sommeil chez moi, lance une muse à la perruque peroxydée. J’ai besoin que quelqu’un me raccompagne chez moi…
— Il en est hors de question ! gronde le chef du Chelsea Arts Club. Le petit-déjeuner va bientôt être servi pour tous les membres. Des œufs brouillés avec du bacon !
Ce n’est qu’en 1890 que le Chelsea Arts Club est formé. Le club doit avoir un caractère bohème. Ses membres sont architectes, graveurs, peintres ou sculpteurs. Le club maintient une émulation artistique, des rencontres, des inspirations. Il promeut l’Art par le biais d'expositions, mais surtout de fêtes spectaculaires. Pour rivaliser avec Paris et Rome, où se tenaient depuis longtemps des Mardi Gras d’artistes, Londres décida par l’intermédiaire du club d'organiser son propre bal, et le premier fut organisé au Royal Opera House, Covent Garden, en 1908. Ce fut un grand succès, qui attira de nombreuses célébrités, des mondains et des acteurs de premier plan. Encouragés par leur succès, les organisateurs ont cherché un lieu plus grand et, à partir de 1910, les Chelsea Arts Balls se sont tenues à l'Albert Hall. Pendant les trente années qui suivirent, les Chelsea Arts Balls de l'Albert Hall furent la pièce maîtresse de la saison sociale londonienne. Organisés à l'occasion du Mardi Gras ou de la Saint-Sylvestre, ces bals étaient des événements extravagants qui réunissaient plus de cent artistes, des décorations somptueuses et jusqu'à quatre milles danseurs déguisés sur le « Great Floor » de l'Albert Hall. Avec des thèmes exotiques tels que « Égypte », « Arche de Noé », « Mille et une nuits » et « Culte du soleil », les fêtards dansaient jusqu'au petit matin, jusqu'à ce qu'un petit-déjeuner soit servi à cinq heures du matin pour mettre fin aux festivités.
— Quelle est la prochaine soirée à thème du Chelsea Arts Club ? demande une artiste.
— Je souhaite réserver la surprise aux membres. Ce pourrait être sur le thème de l’Égypte, propose le chef.
— Fantastique ! Les Pharaons, je sais déjà comment je vais m’habiller. L’Égypte, c’est tellement inspirant, les dieux des pyramides et les esclaves du royaume d’Éthiopie ! Le soleil couchant sur le sable empourpré… La mer Rouge qui s’ouvre…
— Bof, moi, ce thème-là, ça ne plait pas trop, se confie le peintre. Je préfère l’arche de Noé !
— On peut apporter des animaux, ici ? s’interroge la muse blonde.
— On peut se déguiser en cheval sauvage et sa crinière de feu, en lion du désert, en zèbre bleu… ! A deux dans un costume, et nous voilà monstre à quatre sabots, ma belle ! s’enthousiasme le sculpteur de bronze..
Alan Alfredo Geday
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