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Le capitaine Nemo, 1942


 

Cet après-midi, John a pris quelques heures pour lire Vingt mille lieues sous les mers  de Jules Verne. Il tourne les pages à toute vitesse, pris dans cette histoire incroyable qui le laisse rêveur. Le capitaine Nemo est un génie. Cet homme mystérieux qui vit dans le Nautilus, loin de la société des hommes, le fascine. Aronnax et ses compagnons ont échoué dans la bouche du monstre, comme Jonas dans le ventre de la baleine, et sont prisonniers du sombre capitaine. Que va-t-il se passer ensuite ? John n’a jamais aimé lire. Et pourtant, ce livre-là déclenche en lui une vague d’émotions. « C’est un livre pour les futurs ingénieurs ! » lui avait dit sa mère en lui tendant le livre. John était suspicieux. Était-ce un prétexte pour le forcer à lire ? Sa mère essaye toujours de l’entourlouper. « Lire, c’est important, même pour les matheux ! Les chiffres ne sont rien sans les mots et les idées ! » s’était-elle exaspérée à la vue de ses mauvaises notes en littérature. Mais jamais le professeur ne leur conseille de pareils livres. C’est toujours des histoires d’amour, des portraits à rallonge, des paysages qui s’étendent sur des pages et des pages, et les livres lui tombent des mains. Mais aujourd’hui, John est plongé dans ce pavé et il a oublié le beau temps autour de lui. Vingt mille lieues sous les mers est certainement la plus belle œuvre qu’il ait lue. Maintenant, il en est certain, il veut devenir un ingénieur…

 

 « La mer est le vaste réservoir de la nature. C’est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s’il ne finira pas par elle ! Là est la suprême tranquillité. La mer n’appartient pas aux despotes. À sa surface, ils peuvent encore exercer des droits iniques, s’y battre, s’y dévorer, y transporter toutes les horreurs terrestres. Mais à trente pieds au-dessous de son niveau, leur pouvoir cesse, leur influence s’éteint, leur puissance disparaît ! Ah ! Monsieur, vivez, vivez au sein des mers ! Là seulement est l’indépendance ! Là, je ne reconnais plus de maîtres ! Là, je suis libre ! » explique le capitaine Nemo à Pierre Aronnax. John est émerveillé, il n’aurait jamais pensé qu’un univers existait sous la mer, un monde vivant, un monde tranquille loin des soucis de la terre, de la haine de l’homme, des guerres et des tyrans. Explorateur ? Peut-être pas. Il ne veut pas devenir un explorateur, mais bien un ingénieur. John veut comprendre la mer, mais aussi le ciel et la terre. John veut inventer, créer, déployer ses talents mathématiques au service de la science. L’ingénieur n’est pas un génie, mais il est ingénieux. Il comprend, résout, calcule, découvre, et fait des centaines d’autres choses. Décidément, l’ingénieur est un mélange entre le capitaine Nemo et Aronnax. Sa mère avait raison, c’est un livre parfait pour lui.

 

 « John ! le dîner est servi ! » l’appelle sa mère. Il n’a pas fini. Il terminera son roman cette nuit, bien au chaud sous ses draps. Peu importe si la nuit est courte. John est toujours en forme pour les mathématiques. Demain à l’école, il racontera cette incroyable histoire à ses camarades. Il pourra même dire à son professeur de littérature qu’il a lu un livre en entier, et qu’il a aimé ça.

 

Alan Alfredo Geday 

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