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Le cèdre de Lamartine, 1951


Getty Images

 

« Depuis que j’ai quitté vos montagnes, mon plus ardent désir est de revenir vivre parmi vous… », écrivait Alphonse de Lamartine. 

 

Dans les montagnes du Liban, dans ce petit village qu’on appelle Bécharré et qui est suspendu au-dessus des nuages, un homme marche. La brume a fait son apparition. Au pied des cèdres, Bécharré n’a rien d’une bourgade anodine. Le matin, les villageois se retrouvent autour d’un café. Le café, c’est sacré et le temps que l’on met pour le boire est précieux. Le sexagénaire se sert de sa canne. Il marche dans le brouillard. Depuis qu’il a arrêté de travailler, sa routine n’a pas changé.  

 

Il entre dans le café. Ici, les jeunes en quête d’avenir se retrouvent autour du narguilé. Tout le monde connaît Mounssef. Il invite toujours quelques jeunes à boire du café pendant qu’il fume son narguilé. Comment les choisit-il ? D’aucuns diront qu’il se fie au hasard, d’autres à son intuition. La vérité, c’est qu’il n’aime pas fumer seul. Et refuser le café de Mounssef est une offense. Après tout, c’est le geste qui compte. Le propriétaire l’invite à s’asseoir à sa place habituelle. Mounssef dépose sa canne. Son tabac aux dattes est déjà en train de chauffer sur le feu. On ne va pas tarder à lui apporter son narguilé.  

 

Fumer le narguilé, c’est prendre un air fier et s’imposer. Mounssef tire sur le tuyau en observant les trois jeunes hommes qui se sont joints à lui: 

— Il fut un temps où la voiture n’existait pas. Il fallait prendre un âne pour arriver de Beyrouth jusqu’à Jounieh. Et pour arriver à Bécharré, la vallée Sainte, il nous fallait plus de cinq jours. Je n’oublierai jamais cette époque. Le Liban alors était sous mandat français, avant qu’il n’acquière l’indépendance. Le Liban était la campagne de l’empire colonial français. Beaucoup y venaient pour passer du bon temps, prendre le bon air et se ressourcer. Et les cèdres ! Les Français en étaient fous. Lamartine avait même son cèdre attitré. Le cèdre de Lamartine ! Quand il nous a quittés, Lamartine a eu beaucoup d’amertume. Sa fille avait la tuberculose, et le climat d’Orient était propice à son rétablissement. Lamartine est tombé amoureux du Liban avant de disparaître vers Jérusalem.  

— Je connais le cèdre de Lamartine, c’est celui au pied de la montagne que tout le monde observe avec curiosité.  

— C’est bien ça ! Le cèdre de Lamartine. Le poète s’y recueillait parfois, il écrivait des récits sous cet arbre ! répond le vieil homme en faisant des ronds de fumée. 

— Il écrivait ! s’étonne l’un des jeunes. 

— C’était sa source d’inspiration. Il était plutôt montagne que mer apparemment… 

 

Les trois jeunes ont fini leur café. Mounssef continue son rituel du narguilé. Il prend plaisir à voir ses dattes s’évaporer, l’eau du vase faire des bulles, écouter le son de l’eau qui remonte dans la pipe. Le narguilé pour Mounssef, c’est un rituel encore plus grand que le café. Se lever le matin sans fumer est sacrilège. Mieux vaut rester endormi et oublier cette vie comme un songe. Il revêt son bonnet, saisit sa canne et s’apprête à partir.

 

Le brouillard est toujours là, traversant le village de Bécharré. Suspendu entre ciel et mer, Bécharré est un lieu où les rêveurs, les poètes et les artistes aiment à se recueillir. On y vit au rythme des saisons et des intempéries. C’est un village paisible où l’on a l’impression que le soleil se couche à tout moment. Blotti entre les montagnes, Bécharré se réveille. Les habitants emplissent les ruelles, et les maraîchers serpentent dans les impasses pour vendre leurs pêches. À cette époque de l’année, elles sont juteuses et rougeâtres. Mounssef adore les pêches de la région. Il croise un vendeur : « Pêches, abricots, figues ». Son panier est plein. Muni d’une corde, il se sert d’un panier vide pour acheminer ses fruits dans les habitations haut perchées. C’est une tradition. Mounssef achète une pêche. Il la croquera à son réveil de la sieste. Pour l’instant, il rentre chez lui. Rien ne vaut mieux qu’un peu de lecture.  Et surtout du Lamartine !  

 

Alan Alfredo Geday 

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