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La voyante, 1937


Getty Images

 

La course de chevaux de l’hippodrome de Londres était formidable. Le roi George VI avait invité beaucoup de membres du Commonwealth. Étaient présents des membres de la famille royale dont Elizabeth et Margaret, ses deux filles, des haut dirigeants hindous venus tout spécialement pour l’occasion des Indes, des gouverneurs d’Afrique du Sud et des ambassadeurs des colonies anglaises. Parmi tout ce monde, était conviée une certaine représentante de la communauté gitane du Royaume Uni ! Les hommes et les femmes se retrouvent autour d’un verre de jus d’orange dans les jardins de l’hippodrome. Le roi George VI circule parmi les invités, fièrement accompagné de ses deux filles. Elizabeth adore les chevaux. Elle reste pensive pendant que son père discute brièvement avec les membres du Commonwealth. Un jour, elle sera reine d’Angleterre. Elle organisera tout genre de course. Un jour, elle montera sur le trône de cet empire. Elle, Elizabeth, règnera sur toutes les colonies britanniques ! Même les Indes ! Margaret se fait plus discrète. Les invités s’amusent de la présence de la future reine d’Angleterre et de sa sœur cadette. Oh mon Dieu ! Que Dieu sauve la Reine comme le dit si bien l’hymne national ! Margaret le sait. C’est Elizabeth qui sera reine du royaume. Maintenant que son père est roi, elle n’est rien ! Mais elle cherche à rester indifférente. « Indifférente ! Tu parles ! Tu ne penses qu’à fumer des cigarettes en cachette, et le peuple te considère comme le mouton noir de la famille royale ! Tu n’en fais qu’à ta tête d’ailleurs ! » lui chuchote une Elizabeth responsable et consciencieuse. Mais Margaret ne répond pas, et préfère aller vers cette vieille gitane. Assez mystérieuse ! Réservée mais souriante ! C’est la représentante de toute la communauté gitane du Royaume Uni. Son père lui a confié qu’elle sait lire dans la paume des mains. La vieille gitane l’interpelle : « Princesse Margaret ! Comme tu es belle ! Viens là que je lise dans la paume de tes mains ! » Margaret s’approche humblement. La vieille femme plie un genou pour respecter le statut royal de la jeune fille. Margaret lui tend sa paume:

                  — Un jour, tu auras des titres, princesse Margaret !

                  — Je deviendrai reine ? demande Margaret.

                — Jamais reine, mais tu auras une merveilleuse progéniture ! C’est ta grande sœur Elizabeth qui deviendra reine. Tu auras beaucoup d’amour ! Tu vas aimer de tout ton cœur. Tu auras la vie longue. Tu œuvreras pendant une guerre meurtrière. Tu vas t’amouracher d’un soldat !

                  — Une guerre ! s’étonne Margaret.

                  — Une très grande guerre !

                  — Est-ce que les Anglais vont gagner ? demande Margaret.

                  — Je ne sais pas, mais le soleil ne se couche jamais sur l’Empire britannique ! Sache que le soleil ne se couche jamais sur l’Empire.

 

Pendant ce temps, un haut dirigeant hindou discute loyalement avec le roi George VI. Les Indiens veulent leur indépendance ! Les Indiens veulent se démarquer de l’Empire. D’après le roi, un certain avocat du nom de Gandhi sème la panique, et trouble l’ordre public dans toute la colonie. Il en est hors de question. L’Inde restera britannique jusqu’à nouvel ordre. Les conversations sont enjouées. Elizabeth est agacée et veut encore assister à une course de chevaux. Le roi se retourne et esquisse un sourire à son aînée. « Cherchez-vous quelqu’un ? » demande le haut dirigeant hindou. Le roi George VI répond non avec courtoisie. Les deux échangent une poignée de main devant les photographes. C’est un symbole, c’est un lien. Et l’Inde est anglaise jusqu’à ce que…

 

                  — Jusqu’à ce soir ? demande Margaret à la gitane voyante.

                — Ce soir, le soleil se couchera sur Londres, mais il se lèvera sur le Taj-Mahal en Inde, continue la vieille voyante.

                  — Ça doit être beau, là-bas ! insiste Margaret.

                  — Ah, te voilà Margaret ! lance le roi à sa fille. Je te cherchais, et tu en as encore fais des tiennes !

                  — J’étais en train de raconter une légende gitane à votre si douce fille…, dit la voyante.

                  — De quelle légende s’agit-il ? demande curieusement le roi.

                  — Il s’agit de la légende de Shahnameh ! La connaissez-vous ?

                  — Je vous écoute…

              — Cette légende est rapportée dans le poème épique persan, le Shahnameh ! C’est l’histoire d’un grand roi Sassanide, Bahram V Gor, qui apprit que les pauvres ne pouvaient pas profiter de la musique. Il se prit de pitié pour son peuple et demanda au roi de l’Inde de lui envoyer dix mille luris.

                  — Très belle histoire Madame ! s’enthousiasme le roi George VI. Qu’est-ce que les luris ?

                  — Ce sont des joueurs de luth ! Lorsque les luris arrivèrent, Bahram V Gor donna à chacun un bœuf, un âne, et un sac de blé afin qu'ils puissent pour subvenir à leurs besoins en jouant gratuitement pour les pauvres. Cependant, les luris mangèrent et dilapidèrent leurs présents, et revinrent un an plus tard, les joues creusées par la faim. Le roi, furieux qu'ils aient gaspillé ce qu'il leur avait donné, leur ordonna de faire leurs bagages, et de partir vagabonder autour du monde sur leur âne, le seul des biens qu’il leur restait.

                  — Très intéressant ! dit le roi George VI.

                  — Ainsi naquit le peuple gitan ! rétorqua la vieille femme.

 

Alan Alfredo Geday

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