top of page

La morsure cruelle, 1963


Getty Images

 

Centre-ville de Birmingham, 4 PM. D’un côté de la rue, les Afro-Américains en quête d’égalité et de droit. De l’autre, les policiers armés de matraques. Les bergers allemands aboient sans relâche, excités par la rage de leur maître. Ils sont entrainés pour mordre les Noirs, ceux qui manifestent contre la ségrégation et la paix, ceux qui troublent l’ordre social. C’est leur mission, c’est leur devoir. Les policiers arborent un sourire sarcastique. Que vont faire tous ces Afro-Américains pour protester contre le racisme qui sévit dans l’Alabama ? Pauvres crédules ! Impuissants ! Irréalistes ! Les forces de l’ordre se préparent, on serre les poings. Leur regard camouflé par les lunettes de soleil. Le modèle aviateur, viril et occultant. La casquette vissée au crâne, fier symbole de l’autorité. Ils ont l’impression d’être des cow-boys, des terreurs de l’Ouest, des hommes, des vrais. Leur revolver à la ceinture, le droit de tuer. Ici, c’est le Sud ! Et seule la loi des suprémacistes doit régner ! On refuse de boire dans les mêmes fontaines qu’eux, on refuse d’aller à l’école avec leurs enfants et d’utiliser les transports publics à côté d’eux. Yukie aboie de plus belle en tirant sur sa laisse. Il se cabre, montre les crocs, ses yeux luisent, il ne tient plus en place.

                  — Il est bien entrainé ton berger allemand, s’enthousiasme un policier.

                  — Oui, je l’ai dressé avec du sang, et je l’ai entrainé à différencier les noirs des blancs…

 

Larry porte un sac de pierres, son frère Mike un manche de pioche en guise de matraque. Que faire face aux forces de l’ordre d’Alabama ? « Nous voulons nos droits ! » hurle Larry. « Égalité et non séparés mais égaux ! » insiste Mike qui regrette de n’avoir emporté que le manche de sa pioche. La tension monte quand quelques pierres du camp Afro-Américains fusent en direction des policiers. Les bergers allemands s’excitent quand un policier hurle dans son mégaphone : « Rentrez chez vous et on vous laissera tranquille ! » Larry rétorque qu’il en est hors de question. Il veut montrer sa rage aujourd’hui à l’establishment. Il connait ce genre de discours. Une fois rentré chez lui, Larry subira la même injustice au quotidien. On le traitera de « Jim Crow » ! On l’appellera « Dixie » ! Il ne pourra pas rejoindre son oncle Tom à Chicago tranquillement en bus. Et lui, les bus, il les connait. Il a maintes fois fait les Freedom Rides et traversé le territoire en quête d’égalité civique. Mais aujourd’hui, son jour est arrivé ! Il sait qu’il sera humilié. Les Noirs ne sont rien dans ce pays. Que peuvent -ils faire face aux armes à feu et aux bergers allemands ? Car c’est exactement ça. Ils sont tirés comme des lapins. C’est bien l’ironie ! Ce sont tous ces policiers qui représentent la justice en plein jour et qui portent le costume du Klux Klux Klan la nuit. C’est de la haine, c’est de la cruauté !

 

On commence à voir les pierres fuser en tous sens. Les forces de l’ordre de Birmingham avancent à pas saccadés. Petit à petit, leur rêve d’affronter ces noirs va s’accomplir. Les Afro-Américains lancent des bouteilles en verres, des cocktails molotov qui explosent aux pieds des policiers. Ils sont vulnérables. Les policiers sont nombreux et protégés. Ils ont la loi avec eux.

                  — Est-il temps de lâcher les chiens ? demande un policier par talkie-walkie au sergent.

                — Attendez dix minutes que ces noirs usent de leur force ! Qu’ils épuisent tout leur matériel, leurs bouteilles et leurs cailloux !

                  — Entendu chef !

 

Larry fait signe à la foule afro-américaine de s’avancer les uns contre les autres, pour faire mur, pour faire masse. Tous ensemble contre l’ennemi. Les policiers se prennent de frayeur face à cette technique peu commune. Peu importe les vies perdues, du moment qu’ils se rapprochent des policiers. Ces derniers doivent réagir.

                  — Sergent-chef, que fait-on ?

                  — Lâchez les chiens immédiatement !

Les laisses sont défaites et les chiens courent à toute allure. Larry et Mike se mettent à donner des coups de pieds sur ces bêtes féroces. « Saloperie ! » hurle Mike. « Sale bête « lance Larry qui est pris au piège. Yukie a coincé ses canines dans son pullover et ne démord pas.

 

La morsure est cruelle.

 

Alan Alfredo Geday

bottom of page