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La hutte de Chinedu, 1955


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Aux aurores, les lagunes de Lagos sont bourbeuses et soyeuses. Un brouillard s’étend à la surface. C’est la saison de l’harmattan. Le vent du Sahara souffle, chaud et sec. Les villageois embarquent dans leur pirogue. Le vent les guidera, le vent les mènera à la manne au nom du divin. La lagune regorge de poissons de toutes sortes. Des plus petits, le fretin, aux barracudas, les plus gros. Les pêcheurs des îlots de la lagune chargent leurs filets dans leur pirogue. La journée s’annonce longue. Les poissons prolifèrent en cette saison. Une fois arrivés dans les lieux les plus profonds de l’immense lagune, les pêcheurs jettent leurs filets à l’eau par groupe de deux ou de trois. Et hop ! Oh hisse ! On laisse les filets glisser entre ses mains, les mailles ruisseler entre les doigts.

 

Deux heures plus tard, à l’aube, c’est au tour des bâtisseurs de se mettre au travail. Comme les pêcheurs, ils exercent l'un des plus vieux métiers du monde grâce aux lagunes du Nigéria : la construction. Les bâtisseurs chargent leurs seaux et leurs pelles à bord de leurs pirogues. Chinedu de son prénom pousse sa pirogue dans la lagune et monte à bord. Il se lève et donne quelques coups de rame. L’avant de la pirogue fend calmement les eaux, et Chinedu couvre son visage d’une écharpe. La poussière de l’harmattan l’empêche de respirer. Aujourd’hui, il pense se diriger vers l’est de la lagune. Là-bas, le sol est visqueux et boueux, l’eau est peu profonde, et il pourra plonger toute la journée pour collecter une centaine de kilogrammes de sable. Il les chargera dans sa pirogue et les livrera à ceux qui construisent les huttes. Le voilà qui arrive. Il se déshabille et plonge dans l’eau d’une traite. Et hop ! Oh hisse ! Il sort son premier seau rempli de sable et le déverse dans sa pirogue.

 

C’est le début de l’après-midi. Sur le rivage de la lagune, les mamma nigérianes attendent impatiemment leur mari. Les pirogues remplies de poissons s’arrêtent sur le bord visqueux de la lagune. Les femmes se précipitent pour récupérer du poisson à revendre au marché. Elles le cuisineront sur du charbon, elles le sècheront au soleil et elles l’enrouleront dans des journaux. Elles chargent leur corbeille d’osier sur leur tête enveloppée d’un drap. Chacun son tour, chacun son pêcheur, chacun son homme. La pirogue de Chinedu accoste aux côtés des pêcheurs. Il a réussi à ramasser beaucoup de sable.

 

Chinedu arrive auprès des bâtisseurs de huttes. Ils sont déjà une dizaine à avoir acheminé des seaux remplis de sable au village. D’autres déposent des branches de palmiers, de la chaume et de la fibre de banane aux pieds des huttes en construction. On découpe aussi des roseaux et on les enroule de ficelles pour confectionner les portes. Les bâtisseurs travaillent d'arrache-pied dans la bonne humeur. L'harmattan siffle aux oreilles, et le soleil frappe les épaules. La sueur ruisselle dans le dos. On n'arrêtera pas avant la tombée de la nuit. Les huttes sont rapidement montées, et le village s'agrandit de deux maisons par jour. Bientôt, Chinedu pourra s'installer avec sa femme et ses deux enfants aux abords de la lagune.

 

Alan Alfredo Geday

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