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La grand-mère, 1952

  • alanageday
  • il y a 4 jours
  • 3 min de lecture

Getty Images
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Quelque part à Naples, au dernier étage d’un l’immeuble, la grand-mère de Luigi prépare de la sauce marinara à son petit-fils qui n’est pas encore rentré de l’école. Il ne saurait tarder. Elle découpe les tomates, émince les oignons, écrase l’ail et dispose quelques branches d’origan. Puis elle détache deux feuilles de basilic à son balcon. Ce sera la touche finale de la marinara ! Luigi adore les pâtes. Elle espère que cette fois-ci, il n’oubliera pas les olives et les câpres ! La sauce mijote dans la casserole, et la grand-mère la retire du feu. Elle embaume tout l’appartement de son odeur sucrée. Avec amour, la vieille dame dépose les deux feuilles de basilic sur la sauce, bien au milieu et du bout des doigts. Décidément, il est sept heures et toujours pas de nouvelles de son Luigi. Serait-il encore avec ses amis : Renato, Giovanni et Aldo ?  Les pâtes attendront qu’il franchisse le pas de la porte, les spaghettis ça ne se réchauffe pas ! Elle s’occupe beaucoup de son petit-fils, et ça lui donne une bonne raison de vivre. Sa fille travaille d’arrache-pied, elle est secrétaire dans une imprimerie. Ah ! Une mère ne devrait pas travailler autant ! Quant à son gendre, un marin de la marine marchande, il est toujours par monts et par vaux, et c’est à peine si on a le temps d’embrasser son ombre, qu’il a déjà disparu ! Elle repasse deux flanelles blanches de son gendre, il avoir des vêtements propres pour remplir ses valises. Il a promis de rentrer avant le petit matin, c’est Luigi qui sera heureux !

 

                  — Les gars, attendez ! Je dois acheter des olives et des câpres pour ma grand-mère, dit Luigi à ses amis.

Luigi entre chez l’épicier, et se procure un petit sac d’olives et une poignée de câpres. Cette après-midi, les ruelles de Naples sont calmes. C’est l’heure de la sieste, c’est l’heure de fermeture des écoles, c’est l’heure où les grands-mères font sécher le linge sur les cordes tendues entre les immeubles. Du blanc, comme des oiseaux mouillés qui flottent, répandant leur odeur de savon et de soleil. Des serviettes, des chemises, des chaussettes. Cette après-midi, on évite de faire pétarader les motos, on évite de hurler haut et fort par les fenêtres. Les Napolitains dorment, et seuls les enfants rentrent de l’école. Luigi sort de l’épicerie, et rejoint ses amis qui discutent.

                  — Antonella a un sacré cul, dit Renato.

                  — Mais t’es con ou quoi ! C’est la fille du boucher ! S’il t’attrape en train de lui toucher les fesses, tu risques d’être trainé dans les rues du quartier tout nu ! s’emporte Giovanni.

                  — Ouais, c’est vrai ! Fais gaffe ! Antonella est belle, mais elle pas pour toi. T’as déjà embrassé une fille ? demande Aldo.

                  — Tu parles trop toi ! T’as jamais embrassé une fille, s’amuse Giovanni.

                  — Qu’est-ce que t’en sais ? demande Renato. C’est facile, essaye sur le dessus de ta main. C’est exactement la même sensation. Retourne ta main et pose ta langue et fais des cercles, c’est le baiser à la française, et ça épate les filles…

               — Moi, je le fais pas sinon je dois aller me confesser à l’église, et le père Francesco m’a déjà dit que c’était un péché !

                  — Tu ne penses qu’à devenir prêtre, dit Renato à Luigi.

              — Ma grand-mère a dit que devenir prêtre est le chemin vers Dieu. Un jour, je deviendrai prêtre et je ferai la messe tous les jours !

                  — Comme c’est horrible d’être prêtre ! s’emporte Giovanni. Tu n’as pas le droit d’embrasser des filles.

                — En tout cas, Antonella va à la messe tous les dimanches. Donc, si tu veux essayer de sortir avec elle, va falloir t’y mettre rétorque Aldo à Renato.

 

Luigi ouvre la porte du foyer. « Grand-mère ! Grand-mère, je suis là », lance-t-il. Cette dernière s’empresse de faire bouillir l’eau des pâtes et récupère les olives et les câpres qu’elle verse dans la sauce marinara. « C’est le repas que Dieu créa ! Les Napolitains font la meilleur marinara ! » lui répète sa grand-mère. Luigi est affamé. Il revêt son tablier. Les spaghettis sont versés dans l’eau frémissante. Il faut les cuire al dente.

                  — Pourquoi es-tu rentré si tard ? demande la grand-mère.

                  — J’étais avec les autres. On discutait de tout et de rien, répond gentiment Luigi.

                  — De tout et de rien ! s’étonne la grand-mère. Mais de quoi exactement…

                  — Des trucs pour les hommes. Tout le monde essaye de sortir avec Antonella, la fille du boucher. Mais elle ne se montre intéressée par aucun des gars.

                  — Tu veux un conseil ? demande la grand-mère. Si tu veux sortir avec Antonella, dis-lui que tu veux devenir un prêtre !

 

Alan Alfredo Geday

 
 
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