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La fin de Madame DiMaggio, 1962


Getty Images

 

Joe DiMaggio a les cheveux noirs gominés, il est grand. C’est un New York yankee. Une vraie star du baseball, un monstre de la batte. Les New-Yorkais le vénèrent comme un saint venu d’Italie, et l’Amérique l’adore. Madame DiMaggio, c’est Marilyn Monroe, celle qui porte des robes moulantes, fendues, outrageuses, et des bikinis affriolants, celle qui parade devant les soldats en Corée pour leur donner de l’espoir, celle qui se trémousse dans des films médiocres, celle qui attire les foules par un seul clin d’œil, par une seule chanson qu’elle murmure de sa voix d’enfant. Marilyn n’aime plus DiMaggio, mais l’a-t-elle déjà aimé ? Ils sont un couple idyllique, fantasmatique. Toute l’Amérique se réjouit de leur mariage. Et pourtant, Joe DiMaggio est un homme possessif, violent et jaloux de son succès. Joe est un bourru casanier qui a passé tout le temps de leur voyage de noces devant la télévision. Il avait un sex-symbol entre les mains, et il l’a délaissée pour cette fichue télévision. Il n’a pas honoré la volupté de sa femme, et ça, c’est un affront qu’elle n’est pas prête de lui pardonner.

 

Marilyn fulmine, elle ne va pas laisser son mauvais époux ternir son auréole. Il lui faut une nouvelle proie, une nouvelle passion, de nouvelles mains d’hommes pour la déshabiller. Elle a besoin de frissons. Le désir d’un homme, c’est ce qui la rend vivante, vibrante, c’est ce qui la fait exister. Depuis toujours, Marilyn n’existe que dans les yeux des hommes. Mais Joe ne la regarde plus que comme sa rivale, comme celle qui lui vole la lumière des projecteurs. Il ne la dévore plus des yeux, des mains, des dents, comme au début, il ne mord plus ses épaules rondes, ses lèvres charnues, il ne l’attrape plus par la taille pour la serrer contre lui, il ne la décoiffe plus, il ne l’aime plus, et pire, il ne la désire plus. Ce soir, ils sont à une soirée organisée par son agent Charles Feldman. Il a l’art d’organiser les soirées les plus chaudes et les plus mondaines, toujours rehaussées de quelques stars hollywoodiennes et d’hommes influents. Les convives sont nombreux. Joe DiMaggio ne voulait pas venir. « Tu vas encore faire ta pute », avait-il lancé à Marilyn qui se poudrait les joues. Elle n’avait rien répondu. Elle avait rajouté du fard à paupières, du rouge à lèvres criard, et encore plus de parfum. Un parfum sucré et envoûtant, pour attirer un homme comme un papillon. Elle s’était regardée dans le miroir et s’était lancé un baiser, elle s’était donné du courage, elle était parfaite. Sa robe lui faisait des seins magnifiques, durs, puissants, des seins fatals. « Reste devant ta télévision » avait-elle fini par répondre. Joe manqua de lui retourner une gifle. Elle ne voulait pas qu’il vienne. Qu’allait-elle encore faire pour l’humilier, pour bafouer sa virilité et son honneur ? « Tu serais trop heureuse, hein, ma biche ? Je viens. Et tu as intérêt à te tenir. » Mais Marilyn ne l’écoutait pas, elle était déjà loin, loin de leur vie insipide et brutale, flirtant déjà avec un beau mâle assez sûr de lui pour ne pas la violenter et la mettre en cage.

 

— Vous avez une très belle robe, lui dit le sénateur John Kennedy.

— Je vous remercie, répond avec politesse Marilyn. Je ne savais pas que votre Jackie vous appelait Bunny.

— Jackie m’appelle beaucoup de choses. Mais quand une femme me plaît ou quand je discute avec une femme qui m’inspire, qui me rend calme, qui est tout simplement belle et exagérément hors de ce monde, elle se permet de me rabaisser et de m’appeler Bunny.

— Que de compliments, sénateur Kennedy !

— Le plaisir est partagé ! réagit le sénateur.

 

Joe DiMaggio tente d’ignorer l’intimité qui se noue peu à peu entre John Kennedy et Marilyn. Sa femme n’est qu’une traînée. Il finit sa quatrième coupe de champagne d’une traite. Il croise le regard de Jackie Kennedy. Elle contient sa jalousie mieux que lui. Elle est si élégante, si pincée, si femme du monde. Pourquoi n’a-t-il épousé une femme de cette trempe ? Une femme qui ne lui ferait pas honte, qui ne piétinerait pas son orgueil en se balançant devant les journalistes comme une poupée. Devant Bunny, Joe se sent menacé. Si Jackie l’appelle Bunny, c’est qu’il y a une raison. Bunny, c’est le lapin qui court sous les jupes, qui saute dans les jupes, qui plonge dans les jupes. John Kennedy est connu pour ses nombreuses conquêtes et pour son goût prononcé pour les starlettes, pour ces femmes en manque d’attention, en manque d’amour, pour ces beautés vulnérables qu’il avale sans hésiter avant de les laisser tomber comme de vieilles chaussettes. Mais Marilyn sait ce qu’elle vaut, malgré l’image de dinde qui lui colle à la peau, elle se sait lionne et pas moins prédatrice que le sénateur. Elle ne se laissera pas dévorer sans sortir ses griffes rouges. Et elle a hâte. Elle observe ce qui se joue, si légèrement, entre eux. Ce qui se crée, inéluctablement. Il est puissant, son sourire de vainqueur fait tomber les femmes comme des mouches, elle est irrésistible, elle fait bander l’Amérique entière. Ils sont faits l’un pour l’autre, elle en est maintenant certaine.

 

Alan Alfredo Geday

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