En ce matin de février 1944, les bombardiers de la United States Air Force Army traversent les nuages. On ne distingue rien que des parcelles de ciel gris, quelques taches brunes du sol, des rayons de soleil timides ici et là. Mais l'on sent surtout l'air fendu, la force du vent contre la coque, les moteurs qui vrombissent. Les avions se comptent par centaines. Leur mission est de bombarder la ville de Dresde, la grande ville portuaire allemande. Il s'agit d'une attaque stratégique, les objectifs principaux sont les chantiers sous-marins, l'industrie aéronautique, l'industrie des roulements à billes et l'industrie pétrolière. Il faut affaiblir l'ennemi nazi avant toute chose, disloquer ses systèmes militaires, industriels et économiques. Les attaques sont combinées et préparées depuis plusieurs années avec l'armée britannique, et les militaires sont fin prêts.
« Nous ne sommes plus qu’à une vingtaine de kilomètres », annonce le pilote. Il a le cœur battant. Quoi de mieux que de lâcher des bombes sur les industries nazies ? Les Boches verront bien de quel bois ils se chauffent, eux, les Américains ! Ils ne vont pas laisser tomber leurs alliés, ils ne vont pas laisser faire ces fous furieux, ils vont défendre l'Europe. Il faut dire que lui, des raids comme ça, il n’en a jamais fait. C’est son premier, peut-être le dernier. Il se sent puissant, il se sent pénétré de la force américaine, du côté des justes. Il en aura des choses à raconter, il sera un héros, il aura détruit une grande ville allemande, il aura contribué à montrer la puissance de l'armée américaine. C'est un rêve qui se réalise. Un rêve de feu et de violence. Les bombardiers baissent en altitude. « Armez les bombes ! » ordonne le pilote dans son microphone. Cinq hommes à l’arrière s’exécutent. Les bombes glissent entre leurs mains. Bientôt, en bas, les chantiers et les usines brûleront, tout partira en fumée, la puissance nazie ne sera bientôt que ruines et mauvais souvenirs.
La ville se distingue à travers les nuages, minuscule comme un jeu d’enfant, irréelle. Les premières maisons défilent, les premières rues se dessinent. Des voitures circulent comme des fourmis. Le pilote entend déjà les bombes exploser. Il a hâte d’admirer les flammes rouges dévorer la ville ennemie. « Est-ce qu’on peut larguer ? » lui demande-t-on. Attendons un instant, il commence le décompte. Il manie habilement l’engin pour atteindre un endroit stratégique, pour calculer les tirs. On ne va pas gâcher une aussi belle technologie. « Préparez-vous, dix, neuf, huit… » Les soldats ouvrent la soute. Le vent siffle aux oreilles du pilote. Il s’agit de lâcher les bombes le plus rapidement possible, les unes après les autres, qu’elles explosent toutes en série. On décharge la première bombe, elle traverse le ciel comme un caillou dans l’eau, puis la deuxième, puis la troisième. Le bombardier tangue, le vent de la mer souffle encore plus fort. « We did it ! » hurle le pilote. À l’arrière, les hommes se réjouissent. Dresde vomit ses flammes. Dresde, cette ville chère aux Allemands, la capitale de la Saxe, est devenue inoffensive.
Les sirènes retentissent de tous les côtés. Il faut rejoindre les abris, la population se précipite dans les lieux sûrs de la ville : les caves, les sous-sols, sous les ponts. Dans la rue, les Allemands courent dans tous les sens pour aider ceux qui étaient coincés dans les bâtiments en feu. Mille deux cents tonnes de bombes incendiaires lâchées en quelques minutes, mille tonnes de bombes explosives lâchées en quelques instants ! Puis ça se calme. L’explosion des bombes est passée, et le tintamarre s’est estompé. Les hommes et les femmes voient les avions disparaître dans le ciel. Dieu, faites qu'ils ne reviennent plus jamais. Dresde est incendiée, ravagée par le feu, écrasée par les flammes.
Alan Alfredo Geday
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