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La contemplation, 1943


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Le mendiant s’assoit toujours au même endroit, qu’il pleuve des cordes, que le soleil soit brûlant, que l’air soit empli de poussière, du matin à la tombée de la nuit. Il s’est habitué à son emplacement, à ceux qui le croisent tous les jours, à ceux qui le méprisent, à ceux qui compatissent, à ceux qui l’insultent. On ne nait pas mendiant, on le devient par nécessité. Le mendiant attend, son chapeau de paille à ses pieds, un morceau de pain, une pièce. Il fait l’aumône. Il espère. Quand il entend une pièce tomber, il n’ose pas la regarder de peur de ne pas en recevoir d’autres. Il est superstitieux.

 

Cette petite fille vient le contempler tous les jours après l’école. « J’espère qu’il est toujours là », pense-t-elle en quittant la classe. Elle vient tous les jours lui essuyer le visage, comme si elle maquillait une poupée. Elle nettoie la crasse et la sueur de son front. Elle le revigore et lui fait sentir sa respiration enfantine et son visage encore innocent. Elle observe tous les jours son visage noirci de poussière, ridé par le vent et la fatigue. Elle le trouve beau, et pourtant le mendiant n’existe plus. Les deux n’ont jamais échangé le moindre mot. Elle n’a pas de pain à lui donner, et elle ne gagne pas sa vie encore. Elle pense à lui quand elle est à l’école et quand elle est à la maison. Comme un compagnon unique, comme un être qui surveille ses moindres gestes dans son sommeil. Et la seule chose qui la réjouit à la fin de la classe, c’est le mendiant. Elle le contemple.

 

Le mendiant a pourtant tout essayé. Cirer les chaussures des passants. Aider à porter des emplettes. Réciter des poèmes aux habitants. Il cherche à émouvoir par ses dehors autant que par son langage. Faire le clown, réciter un speech de Winston Churchill. Il se rend hideux pour devenir éloquent. Mais décidément, aucun de ses actes ne l’a aidé à se nourrir, à se couvrir, à se réchauffer. Si ce n’est cette fille ! Le mendiant n’est pas méchant. Comme un ange protecteur, il est témoin de tout ce qui se passe au coin de la ruelle. Il observe les femmes se faire accoster, les hommes échanger des billets, il sait tout. Le mendiant tend ses mains souvent vers Dieu en les joignant. Il le remercie de cette existence solitaire et triste. Il respire tous les jours. Et ce qui l’aide à affronter la nuit, c’est le toucher de cette fille, la façon dont elle lui essuie le visage, la façon dont elle lui chuchote : « Ne t’inquiète pas ! Tout va bien se passer ! » Et le mendiant sourit. Le mendiant n’oublie jamais. Des légendes racontent que le soldat romain Martin de Tours partagea son manteau avec un mendiant où se cachait Jésus. Les mendiants sont pauvres, et Jésus trouve souvent refuge en eux.

 

La petite fille contemple le mendiant. C’est réconfortant de contempler un mendiant. Il ne ment ni ne se ment. Il incarne sa doctrine, et il cultive la condition de sa liberté. Seules ses pensées le maîtrisent. Demain est un autre jour, que Dieu advienne ! La petite fille termine de lui essuyer le front, et elle le contemple.

 

Alan Alfredo Geday

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