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L’homme qui vendit le monde, 1994


Getty Images

 

Un homme a vendu le monde et l’a rendu invivable. Un homme capitaliste, un homme sans foi ni loi, un homme insensible. Quel homme ? Toute une humanité. Comme si le destin de l’Homme était de vendre le monde sans savoir en profiter, sans savoir se délecter de ce qu’il peut offrir, sans savoir le partager. Et surtout sans savoir l’offrir en cadeau aux nouveaux arrivants. Kurt Cobain est né blessé. Kurt Cobain est né avec le manque de tout. Le manque en prolongement de lui-même. L’impossibilité de vivre. Quoi de plus romantique ? Quoi de plus triste ? Kurt Cobain a cherché à construire un lieu qui pourrait l’accueillir. Dans ce monde inhospitalier, il a bâti un rêve confortable, jusqu’à un certain point. Et ce lieu s’appelait « Nirvana ». Nirvana, c’est l’extinction, la fin, l’apocalypse du désordre établi. C’est la libération suprême. C’est le chemin vers le divin, vers l’ailleurs. C’est la fuite et le retour à la fois, de ce monde de vendus. Nirvana, c’est aussi l’évasion dans les paradis artificiels de la drogue. Perdre pied pour aimer la vie. Oublier un instant la souffrance d’être né. Rêver, rêver encore, et chanter, et jouer de la guitare.

 

Et dans ses chansons, les adolescents se sont reconnus. Des adolescents désenchantés, heurtés par ce monde en perte de sens. Kurt Cobain, c’était le Rimbaud, le poète maudit de toute une génération. Il avait pénétré le « teen spirit », rassemblé dans le désespoir.

 

« Load up on guns, bring your friends

Charge tes armes, amène tes potes

It's fun to lose and to pretend

C'est amusant de faire semblant et finalement tout perdre »

 

Kurt Cobain n’était pas seul, il avait tous les jeunes avec lui, et tant d’amis imaginaires. Existaient-ils vraiment, les uns et les autres ? Ils étaient des fantômes d’amour, mais pas l’amour. Ils étaient des yeux d’amour, mais pas l’amour. Il y avait bien Courtney Love. Au nom d’amour. Mais si seul, il se sentait si seul. Elle était la reine de « son bourdonnement amoureux », celle qui apparaissait quand il fermait les yeux. Et qui disparaissait soudain dans le nuage noir de ce monde vendu. Ils se droguaient ensemble. Ensemble, ils se tenaient la main pour respirer. Ils se tenaient la main pour sortir la tête de l’eau. Mais la vague était froide, et la vague était grande, insurmontable. Mais derrière peut-être, en tendant l’oreille, on pouvait entendre comme un chant de sirène, comme un cri de baleine à bosse, la musique informe et ensoleillée du Nirvana.

 

Le 8 avril 1994, Kurt Cobain est retrouvé mort. Il s’est suicidé en se tirant une balle dans la tête. Un geste d’une extrême violence. Qui se fait éclater le crâne ? Il a éteint le bourdonnement de ses pensées. Il a éteint la petite musique brisée. Il a éteint la douleur. Et toute une génération a pleuré ce geste. « Mieux vaut brûler que de s’éteindre à petit feu ! » avait-il expliqué dans sa lettre d’adieu.

 

« I laughed and shook his hand

Je riais et serrais sa main,

And made my way back home

Et reprenais le chemin de chez moi

I searched for form and land

Je cherchais au loin une forme et une terre,

For years and years I roamed

Pendant des années et des années j'errais

I gazed a gazeless stare

Je contemplais d'un regard fixe

At all the millions here

Tous les millions ici

I must have died alone

J'ai dû mourir seul

A long, long time ago

Il y a très très longtemps

Who knows ? Not me

Qui sait ? Pas moi

I never lost control

Je n'ai jamais perdu le contrôle

You're face to face

Tu es face à face

With the Man who Sold the World

Avec l'homme qui a vendu le monde »

 

Alan Alfredo Geday

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