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L’exode, 1940


 

La mère Thérèse s’est levée quelques heures avant l’aube. La France a été envahie par les Allemands, elle est occupée. Des familles, qui sont parties pour fuir l’ennemi, ont confié leurs enfants au couvent de la Providence. Les enfants sont cachés dans le couvent en attendant le retour à la maison, s’ils reviennent… Il s’agit de les occuper, de les rassurer et de les passionner avec des histoires bibliques. La mère Thérèse réfléchit. Comment peut-elle les distraire aujourd’hui ? Il faut dire que ces trois garçons sont bien sages. La Bible est truffée de belles histoires. Pourquoi pas un épisode de l’Ancien Testament ?

« Moïse étendit le bras sur la mer. Le Seigneur chassa la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent. Les fils d’Israël entrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche. Les Égyptiens les poursuivirent ; tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses guerriers entrèrent derrière eux jusqu’au milieu de la mer. Aux dernières heures de la nuit, le Seigneur observa, depuis la colonne de feu et de nuée, l’armée des Égyptiens, et il la frappa de panique. Il faussa les roues de leurs chars, et ils eurent beaucoup de peine à les conduire. Les Égyptiens s’écrièrent : « Fuyons devant Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre nous ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Étends le bras sur la mer : que les eaux reviennent sur les Égyptiens, leurs chars et leurs guerriers ! » Moïse étendit le bras sur la mer. Au point du jour, la mer reprit sa place ; dans leur fuite, les Égyptiens s’y heurtèrent, et le Seigneur les précipita au milieu de la mer », lit la mère Thérèse aux garçons apeurés.

— Nous aussi, on a dû partir de Paris… Mais est-ce que Dieu nous a entendus ? Dans les trains, tout le monde se battait. Il y avait même un homme qui tirait sur les cheveux d’une femme et qui a jeté sa valise hors du train. Et puis un bébé qui pleurait, qui n’arrêtait pas de pleurer à côté de moi. Et puis un vieil homme pleurait de partir aussi. Il disait que l’invasion des Allemands allait faire tomber la France, mais je n’ai pas bien compris ce que ça voulait dire, et il disait qu’on ne serait même pas en sûreté n’importe où qu’on aille… Papa lui a dit de se taire devant moi, qu’il me faisait peur, et c’est vrai qu’il me faisait peur… Est-ce que Dieu nous a entendus, mère Thérèse ? Ou est-ce qu’il ne protège que ceux qui suivent Moïse ? demande François, l’un des garçons.

— Moi aussi je veux savoir ! Est-ce que Dieu nous protège ? l’interrompt Paul. Parce que j’ai vu… j’ai vu… J’ai vu des bombes qui tombaient et… Sur les chemins, on était des centaines, on marchait avec nos valises, c’était dur déjà, très dur, et j’avais mal aux jambes. Est-ce que Dieu était là quand papa a perdu sa jambe ? Et quand maman… Et quand maman… suffoque Paul.

— Quand ta maman a rejoint le royaume des cieux, Dieu était là mon petit. Il veille sur elle maintenant. Ta maman est bien où elle est, là-haut, elle veille sur toi, répond mère Thérèse de sa voix douce.

— Est-ce que ça veut dire que Dieu ne veille pas sur les Allemands ? demande le dernier garçon.

— Dieu veille sur tout le monde, mais il laisse les hommes commettre le mal… Dieu a une destinée pour tous, mais ses voies sont impénétrables… le rassure mère Thérèse.

— Pourquoi elles sont… elles sont… ? demande Paul

— Impénétrables, ça veut dire qu’on ne comprend pas son dessein, que l’on ne peut pas comprendre comment il fait au mieux pour tous.

— Moi, je ne comprends pas. C’est vrai. Est-ce qu’un jour je comprendrai ? demande François.

— Non, mon enfant. Il faut croire, et le ciel t’aidera.

 

Alan Alfredo Geday 

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