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L’assassinat, 1982


Getty Images

 

Ce matin, Roberto s’est levé du pied gauche. Une explosion a réveillé le tout Palerme. On ne sait pas trop ce qui a bien pu se tramer dans les rues de la capitale de la Sicile. Encore un règlement de compte, encore un conflit de la Cosa Nostra, ou même une vengeance des Corléonais. L’année commence fort, mais ce n’est pas la brise extérieure qui va empêcher Roberto de porter une chemise ouverte sur le torse. Après tout, n’est-il pas un homme maintenant, haut de ses treize ans ? N’est-il pas prêt à travailler pour un patron ? Il est fort, motivé et ambitieux. Lui aussi, un jour, il possèdera une Fiat. Il se lève de son lit et enfile son jean moulant patte d’éléphants. C’est la mode, et ce genre de jean bleu ciel plait à toutes les filles. Il met ses sandales, et se parfume. C’est un style après tout. Les filles adorent ça. Il ne lui reste plus qu’à se coiffer. Un coup de peigne, et il ira aux locaux du Journal de Sicile pour récupérer des exemplaires et les vendre dans les rues de Palerme. Roberto a dégoté ce boulot avant Noël, et il touche une commission de trois lires sur chaque exemplaire vendu.

 

Le voilà qui arrive devant les locaux du quotidien. Le responsable n’est pas là. Il est en retard, probablement bloqué dans les bouchons de Palerme. Les jeunes garçons attendent, assis à l’extérieur, en fumant des cigarettes Marlboro. La Fiat du responsable arrive enfin, les garçons la distingue au loin. Ils se lèvent tous en signe de respect, et jettent leurs mégots sur le rebord de la route. Le responsable sort du véhicule et ouvre l’entrepôt. Les garçons se ruent sur les exemplaires. Roberto s’empare d’une dizaine pour les revendre. Il a les bras musclés. Il lit le gros titre et quelques lignes : « Un des magistrats les plus hauts placés de Sicile pour combattre la mafia, le général Dalla Chiesa, a été assassiné dans une voiture piégée cette nuit ! » Ça suffit comme ça ! C’est exactement ce qu’il dira aux passants. En plus, le gros titre donne envie d’acheter. Il regarde la photo de la première page. La voiture est criblée de balles, les vitres sont brisées, les pneus dégonflés, et toute la carcasse carbonisée.

 

Le voilà dans les rues de Palerme hurlant : « Dalla Chiesa assassiné ! Voiture piégée ! » Plus que trente minutes, et Roberto ira acheter une moitié de ciabatta aux olives pour combler sa faim. Il est fatigué, il a vendu cinq exemplaires depuis ce matin. Mais il est fier. Un homme s’approche de lui avec un sourire malicieux. C’est Paolo la Débrouille, tout le monde le connaît à Palerme. Il porte toujours un costume trois pièces et un montecristi. Paolo la Débrouille regarde la première page du journal. Il n’a pas l’air étonné par l’explosion de cette nuit. Il lui achète un exemplaire, file récupérer le pizzo chez les commerçants pour l’oncle Gaetano, l’un des plus grands mafieux de Palerme. Le pizzo, c’est le dû des citoyens contre la protection de la mafia. Il est de leur devoir moral de le payer. Pour Roberto, il est temps de manger. Il met les journaux sur sa tête, et se dirige vers la boulangerie. Il rêve de cette ciabatta depuis une bonne heure.

 

Alan Alfredo Geday

 

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