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L’ange incompris, 1959


 

Les mondanités sont si décevantes, et pourtant, elles occupent toute sa vie. Et Marilyn a envie de déployer ses ailes dans cette vie étriquée, de se sentir libre, de se sentir vivante. Elle ressent tellement d’ennui. Alors, elle a développé de mauvaises habitudes pour exprimer son déplaisir. C’est ce qu’elle a trouvé de mieux pour faire un pas de côté. On lui fait souvent des remontrances à ce sujet. Par exemple, elle est invariablement en retard à chacun de ses rendez-vous. Mais elle a besoin de ce temps de solitude, de se recentrer sur elle, sur Norma Jean, sur la vraie femme qu’elle est. Ainsi, elle paresse dans son bain pendant des heures, oubliant le temps et les rendez-vous si importants. Son retard est aussi dû à ses longs moments passés à s’enduire de crème et de baume. Quand elle caresse sa peau, elle songe à tous ceux qui la désirent et l’attendent. Elle songe à sa gloire, et à la punition qu’elle inflige à ce beau monde de Hollywood. Toutes ces années où elle était indésirable, elle les fait payer. Personne ne voulait voir cette petite servante Norma Jean, même pas sa propre mère. Aussi, elle ne parvient pas à rire en permanence lors des dîners, comme elle devrait le faire. Elle souffre déjà de jouer les écervelées au cinéma, elle n’a pas envie de devenir une perruche accomplie. Les gens se mettent sur leur trente-et-un pour les soirées et veillent à laisser leur personnalité chez eux, jusqu’à devenir inconsistants. Quand Marilyn se prépare, elle s’applique au contraire à ne pas se perdre. Les gens ne veulent pas se montrer humains ou intelligents, ils ont trop peur de se singulariser, de manquer de légèreté. Non seulement ils s’habillent de la même façon, aussi bien les hommes que les femmes, mais encore ils pensent de la même façon.

 

Certains l’aiment chaud est le film le plus célèbre de Marilyn Monroe. Pourtant, elle incarne un personnage inconsistant, une chanteuse sans voix, qui joue du ukulélé, avec un penchant pour la bouteille et les milliardaires. Une croqueuse de diamants nunuche à souhait. Elle est si effacée, jusqu’à son teint diaphane et ses cheveux oxygénés… Son mari la respecte-t-elle pour ne pas la défendre de cette superficialité ? Elle lui en veut. Elle est certaine qu’il l’a épousée par vanité, qu’il ne l’a jamais vue que comme une jolie poupée malléable. Sa confiance en lui s’est évanouie. Elle ne veut plus de ce mariage. Exister ! Elle a tant besoin d’exister ! Elle a quitté la chaleureuse compagnie du bateau pour prendre l’air et étendre ses bras dans la brise. Elle s’imagine comme les sirènes en proue des navires, qui affrontent toutes les tempêtes sans fléchir. Ces femmes de bois, fortes et impénétrables. Une pin-up sexy, elle veut bien, mais un fantôme de femme, jamais ! Elle veut garder le pouvoir. Ainsi, elle arrivait toujours en retard pendant le tournage de Certains l’aiment chaud, et au lieu de l’interroger, de s’inquiéter de son état, on essayait de la dompter. Elle ne retenait pas une seule phrase. Ses lignes étaient si bêtes. Comment pouvait-elle se les approprier ? Une larme coule sur sa joue. Son mari, Arthur Miller, n’a jamais cherché à la comprendre. Il est comme tous les autres, il s’arrête aux apparences. Elle était indésirable, puis elle est devenue la femme la plus désirée des États-Unis, mais comprise, entendue, aimée, quand le sera-t-elle ? Jamais, sans doute…

 

Alan Alfredo Geday

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