Le photographe américain est impatient. Le Taj Mahal est le dernier lieu qu’il souhaite visiter en Inde. Son train s’arrête enfin à la gare d’Agra. C’est une masse de gens qui descend du train qui était prêt à craquer, à se démanteler un peu plus tôt sur le chemin. John Wise n’avait trouvé qu’un billet en deuxième classe. Les Indiens étaient les uns sur les autres. Mais le voilà enfin en taxi. « Vous avez de la chance », lui répète incessamment le chauffeur du tricycle. À peine sorti de la grouillante gare d'Agra, le chauffeur appuie sur le champignon de son trois-roues branlant. Évitant habilement buffles, chameaux et autres attelages hétéroclites faisant des routes indiennes un spectacle permanent, il fonce. Direction le Taj Mahal, il n’y a pas de temps à perdre ! John Wise doit attraper son vol de cette après-midi pour Pittsburgh. Pas question de partir sans avoir photographié le Taj Mahal. Le trois-roues arrive enfin devant le Taj Mahal où une cohorte de touristes pose devant le monument sacré.
— Impossible de prendre une photo ici, soupire John Wise.
— Je peux vous emmener quelque part où vous aurez une meilleure prise, sans les touristes, insiste le chauffeur.
— S’il vous plait ! répond le photographe. J’ai pas de temps à perdre, j’ai un vol American Airlines pour Pittsburgh dans quelques heures…
L’histoire du Taj Mahal fascine le jeune reporter. C’est un vrai conte de fées. L’empereur moghol Shah Jahan était tout puissant. Mumtaz n’était qu’une fille ordinaire parmi le peuple. Elle n’avait rien de particulier, aucun statut dans la dynastie régnante. Mais qu’elle était belle aux yeux de l’empereur Shah Jahan ! Le Maharaja, ayant des obligations vis-à-vis de sa famille et de son peuple, lui promit toutefois fidélité en secret. Mais peut-on déshonorer son père et sa famille par amour ? Il en était hors de question. Vint le temps où l’empereur Shah Jahan devait trouver un parti, une alliance. Son père lui trouva une belle femme, intelligente et de bonne famille. Il obéit à son père et épousa cette demoiselle. Le mariage ne fut pas consommé, et Shah Jahan resta fidèle à la promesse faite à Mumtaz.
— Que se passe-t-il ? demanda le père de l’empereur à la femme de son fils. N’ai-je pas droit d’avoir un héritier ? Pourquoi ne tombes-tu pas enceinte ?
— J’aime beaucoup votre fils ! Il est très gentil, et je serai sa femme jusqu’au bout…, répondit la demoiselle.
— Mais que se passe-t-il alors ?
— Shah Jahan refuse toute intimité avec moi. C’est la raison pour laquelle je ne peux engendrer une descendance, se justifia la demoiselle.
Le père de Shah Jahan était fou de rage. Que faire de son fils ? Pourquoi refusait-il d’avoir une relation intime avec elle ? Il décida de lui trouver une seconde épouse, encore plus belle, plus riche et plus intelligente. Mais l’empereur Shah Jahan était fou amoureux de Mumtaz. Il ne remarqua même pas cette extraordinaire beauté. Il écouta et respecta les conseils de son père, mais encore une fois, le mariage ne fut pas consommé. Les années s’écoulaient, mais l’empereur était bien résolu à rester fidèle à son amour. Il attendit enfin la mort de son père pour faire son choix de cœur. Il put épouser Mumtaz. Quelle joie de pouvoir partager sa vie avec celle que l’on aime ! Et les deux amoureux purent vivre leur idylle aux yeux de tous.
Et un beau jour, Mumtaz lui annonça qu’elle était enceinte de leur quatorzième enfant. Shah Jahan était aux anges, il était heureux de la venue au monde de cet enfant. Mais à la naissance de la dernière fille, Mumtaz rendit le souffle. L’empereur fut dévasté par cette disparition. Les deux se promettaient de vivre cet amour pour toujours. Avant de mourir, Mumtaz avait demandé à son époux de faire une nouvelle promesse : ne jamais se remarier et lui construire un mausolée digne de leur amour. L’empereur tenait toujours ses promesses, et il décida de construire un palais majestueux pour accueillir la défunte.
John Wise arrive au bord de la rivière Yamuna. Des Indiens font leur ablution et se purifient dans la rivière sacrée. Les enfants remarquent John Wise et son appareil photo. Ils se ruent vers lui, John Wise leur demande de rester à côté de leur mère. John Wise appuie sur le bouton. Il immortalise son amour pour l’Inde avec ce dernier cliché.
Alan Alfredo Geday