Je suis une star, 1954
- alanageday
- 26 mai
- 3 min de lecture

Le nouveau Boeing 377 Stratocruiser vient tout juste d’atterrir à Tokyo. Deux prestigieux passagers s’apprêtent à poser le pied au Japon pour leur lune de miel. Leur mariage a défrayé la chronique. C’est le mariage du siècle pour les Américains. Ainsi, Joe Dimaggio, la légende des New York Yankees, et sa jeune épouse, descendent sur le tarmac. Le major général de l’armée américaine Charles W. Christenberry s’approche des tourtereaux avec un grand sourire courtois. Il n’a d’yeux que pour la beauté qui se tient au bras du Yankee, une blonde sulfureuse qui a tourné la tête du Nouveau Continent. La connaissez-vous ? C’est une actrice, un top-modèle, une chanteuse à ses heures, mais surtout, une pin-up outrageusement célèbre. C’est Marilyn Monroe.
— Cela vous plairait-il de visiter la Corée pendant quelques jours et de divertir les troupes américaines ? demande le major général.
— Merci pour la proposition, répond Joe Dimaggio. Mais je ne pense pas avoir le temps.
— Ce n’est à vous que je pose la question, se reprend le chef d’état-major. Ma demande s’adresse à votre femme.
— J’aimerais beaucoup ! s’enthousiasme Marilyn Monroe. Qu’en penses-tu, Joe ?
— Vas-y, si tu veux ! C’est aussi ta lune de miel, après tout !
À la base militaire de Séoul, une estrade a été disposée pour accueillir l’actrice. Les marines américains attendent impatiemment cette bombe extraordinaire. Certains ont même une photo de la pin-up sur leur casque. D’autres brandissent le Playboy où elle a posé nue. Ils scandent son nom pour la faire venir. Ils sont enfiévrés de bonheur. Et la voilà, la star hollywoodienne, qui approche en se déhanchant dans sa robe à sequins. Elle semble tout droit sortie d’un film ou d’une soirée mondaine. C’est l’Amérique qui vient à eux, et pas n’importe laquelle. C’est la beauté dans l’horreur de la guerre. C’est celle qui pourra leur faire oublier la violence et nourrir leur imaginaire. La jeune femme habitera leurs nuits pendant longtemps. Sous un soleil de plomb, Marylin monte sur l’estrade. Les marines sont émerveillés. Ils applaudissent l’actrice qui leur envoie des baisers. Elle joue la femme fatale, elle minaude, elle lance des œillades. Et les soldats sont en extase. Elle distribue du rêve, elle devient une icône, inaccessible, mais bel et bien là, devant eux. Le sex-symbol déclare d’une voix suave : « C'est ma première expérience avec un public en direct, et ma plus grande expérience avec n'importe quel public. C’est la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Je n'oublierai jamais ma lune de miel avec la 45e division.»
Marylin Monroe ne doit pas trop tarder. Son apparition éclair a remonté le moral des troupes. Alors qu’elle monte dans l’hélicoptère, elle lance un dernier adieu : « Au revoir, tout le monde. Au revoir, au revoir, et que Dieu vous bénisse tous. Merci d'avoir été si gentils. Ayez une bonne pensée pour moi ». Les cent mille soldats, ennuyés et solitaires, ont les larmes aux yeux. La voilà partie, comme un rêve qui s’éteint.
La tournée de Marilyn ne s’arrête pas là. Elle veut faire durer le bonheur d’encourager les soldats américains. C’est de l’amour qu’elle reçoit, tant d’amour pour remplir ce vide qui l’habite. Pouvait-elle rêver de meilleure lune de miel ? Ainsi, ce sont des milliers de soldats qu’elle rencontre. Tant d’hommes tristes et désespérés qu’elle réveille. C’est sa participation à la guerre, elle qui sait être belle, elle qui sait distribuer du rêve à la pelle, elle qui ne se lasse pas de la scène et des applaudissements. Elle dira plus tard : « C'était tellement merveilleux de regarder en bas et de voir tous ces jeunes gens qui me souriaient. Je me suis sentie tellement désirée ».
Alan Alfredo Geday