Je m’appelle Marc. Moi, je m’en fous des jouets !
Les garçons jouent à la guerre. De façon générale, ils aiment animer des soldats de plomb, les placer, les faire bouger, s’imaginer qu’ils tirent. Ce sont des illusions. Ces soldats sont morts, ils ne sont pas vivants. Les soldats de plomb sont des figurines. C’est comme les santons, ils ne sont pas vivants. C’est juste pour représenter le petit Jésus et le bœuf. Vous pensez vraiment que le bœuf rumine et souffle sur l’Enfant Jésus ? Je ne pense pas ! Ce n’est qu’une représentation. C’est impossible ! C’est la même chose pour les soldats de plomb. Ils sont inertes. Moi, Marc, je n’y crois pas à toutes ces foutaises. Et puis, quand on fait bouger des soldats de plomb, comment est-ce que l’on sait qui va gagner ou qui a gagné ?
Aha ! Vous voyez comme je suis intelligent. Les Russes vous diront : « La Russie a gagné ! » Les Allemands vous diront : « C’est l’Allemagne ! » C’est pour ça que je m’en fous des jouets. J’ai passé l’âge. Je ne crois plus à ces choses. Je suis un grand garçon maintenant.
Aha ! J’aide ma mère. Elle m’a demandé d’aller au coin de la rue acheter un sapin pour quelques sous. Car en France, il y a beaucoup de sapins, beaucoup d’arbres, et ce n’est pas ça qui manque. Ce qui nous manque, ce sont des hommes, des hommes courageux, des hommes forts, des soldats pour faire la guerre. Ces Allemands nous agacent, et ces Russes nous effraient. Les Allemands nous agacent parce que l’on n’a plus le droit de fabriquer des jouets en métal. Apparemment, on en a besoin pour faire la guerre. Les Russes nous effraient parce qu’en Russie, les jouets en caoutchouc sont interdits. Interdits ! Verboten, comme disent les Allemands ! Je m’en fous des jouets ! Aha !
Jouer à la marchande avec des filles ! Il en est hors de question. J’ai que ça à foutre. J’ai passé l’âge. C’est vrai que les filles sont plus intelligentes que les garçons ! Plus malignes et plus quelque chose ! Je cherche… c’est ça. Plus mûres ! Elles ne jouent pas avec les soldats en plomb. Elles font le vendeur et l’acheteur. Elles s’amusent à l’offre et à la demande. Elles vendent des œufs en cachette et du beurre pour faire des œufs au plat. Moi, je m’en fous, je m’en fous des jouets ! L’important, c’est d’être réunis autour d’un sapin.
Alors comme un homme, ce matin, j’ai revêtu mes bottes et mon béret. Je suis allé au coin de la rue et j’ai commencé à discuter avec le vendeur.
— Que fais-tu là à cette heure ? m’a-t-il demandé.
— Il me faut un sapin pour la veillée de Noël. C’est ma mère qui a dit ça !
— Ta maman ! Eh bien ta maman, elle en dit des choses… celui-ci te convient ?
— Trop grand, je ne pourrai pas le porter, répond Marc.
— Et celui-là ? Ça ira ?
— Trop grand, je ne pourrai pas le porter…
— Oh là là ! Tu n’auras pas la place pour mettre des souliers et des cadeaux, s’étonne le vendeur.
— Moi, je m’en fous des jouets !
Aha ! Ça, c’est un homme, celui qui clame haut et fort qu’il s’en fout des jouets. Mais tout de même ce Noël, j’aimerais bien avoir un soulier. Rien qu’un soulier et peut-être un cadeau au pied du sapin. L’année dernière, j’ai reçu une orange. Et moi j’aime bien les oranges, c’est plus utile qu’un jouet. Je sais même éplucher une orange d’une traite, avec une seule épluchure, c’est mamie qui m’a appris. Mamie, c’est elle aussi qui tricote les bonnets et les écharpes. Mais elle n’a plus de laine, alors elle détricote et retricote, comme ça, pour s’occuper, devant le poêle. Ça me fait marrer de voir les pulls qui disparaissent et réapparaissent sous les aiguilles à tricoter de mamie. Quand je lui dis que je m’en fous des jouets, elle éclate de rire. Elle me dit que quand je serai grand, j’aimerai les jouets à nouveau. Je ne crois pas que ce soit vrai. Elle dit que quand on est grand, on a besoin de se remplir la tête de bêtises, que sinon la vie est trop triste. Je crois que c’est vrai que la vie est triste. Mais même si papa est mort à la guerre, même si on n’aura pas de dinde à Noël, même si maman pleure et que mamie tricote, moi, je m’en fous des jouets.
Alan Alfredo Geday
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