— Ces gars-là, ils n’ont rien compris, grommelle Branch Rickey, sans se rendre compte que son petit-fils l’écoute. Les politiciens new-yorkais veulent s’en foutre plein les poches sur le nouveau stade des Dodgers. Tant pis pour cette bande de saligauds ! Les Dodgers de Brooklyn seront bientôt hébergés à Los Angeles ! s’énerve le grand-père. En attendant, on est obligé de jouer dans ce foutu stade ! On ira en Californie…, marmonne-t-il. Putain non, pourquoi tu as fait ça, crétin ? hurle-t-il finalement en se levant avec vivacité malgré son poids.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande avec curiosité son petit-fils assis à côté de lui.
Le stade s’enflamme. Ce sont des hurlements, des huées contre les adversaires des Dodgers. Branch Rickey observe les tribunes. Les supporters des Dodgers sont enfiévrés. Ils brandissent des banderoles et des pancartes portant le nom de leur idole. On ne peut perdre pas à domicile, surtout si l’équipe adverse vient du Far West. Branch Rickey n’est pas seulement un grand-père, c’est aussi le propriétaire d’une équipe de baseball, les Dodgers. Son équipe est domiciliée à Brooklyn sur la côte Est, dans l’État de New York, et les politiciens refusent de lui donner leur approbation pour construire un nouveau stade pour son équipe. Mais Branch Rickey ne se contente pas de peu, il aime le grand show et surtout que son équipe gagne dans un stade qui lui appartient. À domicile, comme on dit !
— Ce que tu viens de voir, c’est très rare, mon petit ! La balle s’est brisée sous la force de frappe du grand Jackie Robinson. Il est incroyable, il frappe très fort, et il est noir. Mon fils ! C’est très rare d’assister à un round de baseball et d’être témoin d’une balle qui se fracasse en deux !
— C’est qui Robinson ? demande son petit-fils.
— C’est le joueur noir, tu le vois pas ? lui dit son grand-père en tirant sur son cigare.
— Est-ce que tu penses que les Dodgers vont gagner la saison cette année ?
— Je ne sais pas, mais l’année dernière, on a gagné. Ce serait historique de remporter la saison deux années de suite. Qu’en penses-tu ?
— Je veux un hot-dog, supplie son petit-fils.
— Attends la fin du round ! insiste le grand-père.
Jackie Robinson est le premier Afro-Américain à jouer pour une équipe de baseball de la Major League. C’est Branch Rickey qui a insisté pour que Jackie Robinson joue pour les Dodgers. Sa motivation était avant tout morale. Le grand-père est membre de l’Église méthodiste et il est un ardent défenseur de la justice sociale. Robinson est un joueur exceptionnel, un coureur rapide qui stimule l'équipe par son intensité, et il avait droit à sa chance, sans jugement et sans discrimination. Il sera un exemple pour les Afro-Américains et peut-être qu’un jour les équipes seront pleines de noirs, et que ce sera tout à fait normal, tout à fait accepté. Peut-être qu’un jour, on ne se posera même pas la question de la couleur de peau avant d’embaucher quelqu’un. Branch Rickey reconnaît le talent, où qu’il soit, et il ne manque jamais de défendre ses idées : « Un mec qui joue bien, c’est un mec qui joue bien. Plus on se montrera ouverts, plus on aura le choix pour nos joueurs, et plus ils seront forts et imbattables ! C’est par la tolérance qu’on deviendra les meilleurs ! Pourquoi se limiter avec des préjugés ?» avait-il expliqué à son équipe avant l’arrivée de Jackie Robinson.
Alan Alfredo Geday