Dans le village normand de Sainte-Marie-du-Mont, à la sortie de la plage d’Utah, Hugues et Odette se souviennent de l’occupation allemande. Ils s’en souviendront toujours. Ils ont laissé un fils derrière eux. Comment peut-on oublier une telle horreur ? Comment peut-on oublier un tel sacrifice ? Hugues pense que l’oubli sera impossible, que la mémoire traversera les générations. Odette, généreuse, veut récompenser et féliciter les marines américains. Ils sont nombreux à entrer dans le village de Sainte-Marie-du-Mont, sous les applaudissements et les acclamations des habitants. « Vive les Américains ! Vive l’armée américaine ! Les soldats allemands ont pris la fuite, ils sont partis en saccageant tout sur leur passage. Les champs ont été brûlés, les habitations pillées, le bétail assassiné. Ils n’ont pas voulu laisser aux habitants le luxe d’être libérés avec tous leurs biens.
Hugues et Odette se remémorent ces quatre années affreuses d’occupation. Après les premières attaques aériennes en 1940, les restrictions sont arrivées. On se nourrissait peu et mal. Faire la queue chez le boulanger puis chez le boucher, munis de leurs tickets de rationnement, était leur quotidien. On leur offrait un minimum souvent insuffisant. « Toutes les familles n'étaient pas logées à la même enseigne. Les plus riches avaient les moyens d'acheter des produits sur le marché noir, souvent passés par des mains allemandes. Pour les autres, c'était la débrouille », raconte Odette au marine américain qui peine à comprendre son français. Hugues explique au soldat qu’il a eu la possibilité de faire pousser du café dans son arrière-cour. Le goût était âpre, mais ce menu plaisir était un luxe. Fort heureusement, il y avait aussi cet ami fermier qui les approvisionnait de temps en temps. Un œuf fraichement pondu, du lait encore chaud, et des légumes que les Allemands ne reconnaissaient et ne confisquaient pas : topinambours, panais, rutabagas. Ah ! Hugues se serait damné pour une fichue pomme de terre ! Quant au pain, il était noir de son. Une belle miche au cœur tendre et blanc, il en rêvait souvent. Et puis le saindoux, qui avait remplacé le bon beurre normand, était sans saveur sur les tartines. Pour le dessert, on ne pouvait pas espérer une tarte ou un flan, et seuls les enfants avaient droits à des biscuits survitaminés au goût de médicament. Son petit-fils les dévorait pourtant avec appétit, faute de mieux. Il ne pouvait pas s’attendre à recevoir du chocolat ou une quelconque denrée des colonies ! Mais le plus pénible, c’était le froid. En hiver, les vitres étaient couvertes de givre. Le charbon servait à alimenter la cuisinière, et il était bien rare. Son fils allait le voler dans une gare de triage, dans les résidus des locomotives. Son fils est un débrouillard, Dieu merci et paix à son âme, la guerre l’a emporté. Odette verse une larme à ce récit. L’Américain se prend de pitié pour ces deux vieillards, sans saisir un seul de leurs mots. Il leur tend une joue à chacun. Hugues et Odette sont bien heureux d’embrasser leur sauveur.
Les drapeaux français flottent aux fenêtres des habitations. Vive la libération ! Vive la France ! Plus jamais cette honte, plus jamais cette humiliation ! Les habitants se dépêchent de sortir dans les rues. Ils enlacent les marines américains. Ils leur offrent ce qu’ils peuvent, ce qu’il reste. L’ambiance est chaleureuse, les habitants sont soulagés.
Alan Alfredo Geday
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