À la fin du mois de juin, les premiers rayons du soleil transpercent la verrière de la gare du Nord, créant un pianotement de lumière sur les quais des trains en partance pour le nord de la France. Les oiseaux survolent la grande halle. Les trains sont à quai, la gare est vide. Ils volent à vive allure, battent des ailes de toutes leurs forces à la recherche de miettes de pain. Et il en faut du temps pour traverser la grande halle de la Gare du Nord. Mais quand les oiseaux la survolent, ils se sentent prisonniers et ressentent vite le besoin de retrouver le plein air. Les oiseaux barbotent dans les moindres recoins de la grande halle. Que peuvent-ils trouver ? Sur les wagons, absolument rien. Leur toit commence à chauffer avec le soleil, et cette chaleur les insupporte. Entre les rails, rien à part des mégots de cigarettes qui s’éternisent. Les oiseaux ne trouvent pas de quoi se nourrir, il va falloir attendre un peu plus tard l’arrivée des voyageurs. Alors, les oiseaux se mettent dans un coin, à côté de la verrière ou sur le piédestal d’une statue, et ils roucoulent. Ils savent que les trains partent tôt le matin de la gare du Nord. Cette dernière est vite repérable à vol d’oiseau de par ses trente-huit mètres de haut et ses soixante-douze mètres de large. Mais la gare du Nord, c’est toute une histoire. Elle est née il y a un peu moins de cent ans, sous Napoléon III, et elle est ornée de vingt-trois statues sur ses façades qui représentent les villes du Nord que la gare dessert. Depuis, les oiseaux ont un temple pour se recueillir et des estrades pour observer le va-et-vient des voyageurs.
Quelques heures plus tard, c’est un bruit sourd et obsédant qui retentit sous la grande halle. Les oiseaux observent cette foule immense qui entre et sort des wagons. Ils entendent les enfants qui pleurent ou qui jouent autour des kiosques à journaux, les agents qui sifflent ou qui hurlent les directions des trains, et les bagages qui roulent. La gare du Nord ressemble à un grand dépotoir. Les voyageurs ont hâte de sortir de ce désordre. Et les oiseaux guettent. Parfois, ils sont leurrés par le jet d’une cigarette sur les quais. Voilà une tourterelle qui s’aventure, mais elle rebrousse vite chemin pour venir se poser sur une statue. Puis c’est au tour d’un pigeon de s’élancer pour un morceau de sandwich jambon beurre. Les autres l’observent. S’il ne revient pas sous la verrière, c’est qu’il y a de quoi se nourrir. Le voilà qui picore tout seul, le voilà qui se remplit le gosier ! Mince, il faut faire vite ! Tous les autres pigeons l’ont repéré, et ils se disputent maintenant les restes. Un agent les écarte en frappant du pied. Il ne faut pas déranger les voyageurs. Les oiseaux s’écartent immédiatement. Décidément, on ne peut pas manger en toute liberté ! Il faut toujours faire vite et picorer à l’abri des regards.
En quelques heures, la gare du Nord se remplit de pigeons et de tourterelles. Ils sont partout, ils guettent tous les recoins de l’immense halle. Puis le jour tombe, les trains se raréfient, les voyageurs aussi. Les lumières s’éteignent. La lune dessine son halo sur la verrière. Il va falloir attendre le lendemain avant de refaire une campagne.
Alan Alfredo Geday
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