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Danserais-tu, Salvatore ? 1949


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 Qui est donc Charles Luciano, dit aussi « Lucky » ?  C’est le gangster new-yorkais, c’est le proxénète, c’est le magnat de la pègre, c’est celui qui a été extradé du sol américain pour corruption et crimes organisés. Une terreur aux belles manières. Un ours en col blanc. Et au chapeau toujours impeccable. Et ce soir, Monsieur Luciano danse tranquillement dans les hauteurs de la Sicile. Il valse comme un gentleman, et son sourire est celui d’une star de cinéma. Un vrai Cary Grant. Il est l’invité d’honneur de cette fête prestigieuse. Nul ne le juge pour ses crimes américains. La Sicile a été libérée par l’armée américaine grâce à lui. Lucky n’a pas oublié les siens, Lucky a fait honneur aux Siciliens de l’autre côté de l’Atlantique. Ses combines ont permis aux marines de s’allier aux poches mafieuses siciliennes pour renverser le pouvoir de Mussolini. Le Duce est tombé comme une tomate mûre. Il est certain que Luciano ne dormira pas dans la prison d’Alcatraz ce soir, mais bien dans les bras d’une femme. Le voilà libre ! Il a toujours su se tirer du pétrin, et il mérite son nom !  Le fondateur de la Cosa Nostra américaine respire enfin ! Il est de retour en Sicile où il a vite repris ses petites habitudes. Se promener dans le port de Palerme sous le regard admiratif de ses compatriotes, prendre son café dans les brasseries de l’île, répondre aux interviews des journalistes. Il traverse la ville la tête haute, il n’est pas n’importe qui. On le salue poliment, on ne manque pas de déférence. Il reçoit des petites attentions, des cadeaux, des invitations. Il a même retrouvé un poisson enveloppé dans du papier journal sur le pas de sa porte hier. Un beau poisson fraîchement pêché. Et les bouquets de fleurs embaument le salon, comme s’il était une starlette à la mode, bon dieu, c’est assez drôle quand on y pense. C’est vrai, il est reçu comme un prince en Sicile. Bien que l’île ne soit pas aussi étourdissante que New York, elle a ses avantages. Après tout, il était peut-être temps de songer à la retraite. Cette arrestation n’était peut-être pas une si mauvaise chose… Mais il se sent seul, ici, malgré les simagrées, les flatteries et les gentillesses. Il n’est pas celui qu’on croit. Il aime être craint et respecté, mais tout de même, un peu d’authenticité et d’amour ne lui feraient pas de mal. Cette charmante sicilienne lui fait les yeux doux. Serait-elle l’amante d’une nuit ou peut-il espérer davantage ? Est-elle au courant de tous les chefs d’accusations qui pèsent sur ses épaules ? Entendrait-elle ne serait-ce qu’un quart de ses crimes sans partir en courant ? Il sera toujours temps de le savoir… Ses grands yeux noirs ne le laissent pas insensible.

— Luciano ou Lucky ? lui demande-t-elle en minaudant.

— Lucky c’est pour les Américains, c’est pour mes amis juifs, pour les familles italiennes qui veulent la paix… C’est Luciano, pour les jolies Siciliennes dans ton genre…

— Luciano, je suis tellement admirative de tout ce que tu as fait pour la Sicile. Ton courage me fait rêver. Moi aussi, j’aurai bien aimé aller en Amérique, mais je n’en n’ai pas eu de chance comme toi, Lucky.

— L’Amérique et moi, c’est une longue histoire d’amour et de divorce.

— Divorcer d’un homme comme toi est impossible ! Moi, je rêve d’une vie en amoureux dans une belle maison retranchée dans les collines… Et d’enfants qui courent dans le jardin et d’un beau chien. Comment on appelle ces chiens de course déjà ? Je les adore… Je n’arrive pas à croire que je danse avec toi, Luciano.

— Et pourtant… sourit-il, flatté.

— Sache qu’ici en Sicile, on t’aime tous et que tu es ici chez toi, finit-elle par conclure.

 

I dream of you, more than you dream I do

how can I prove to you this love is real?

You're mean to me more than you mean to be

you just can't seem to see the way I feel!

 

Le chanteur entonne une chanson de Frank Sinatra. C’est un clin d’œil à Charles Luciano qui devient nostalgique. La belle Sicilienne lui serre la main, elle le sait, l’Amérique lui manque.

 

Alan Alfredo Geday

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